Maladies mentales : l’autodiagnostic sur les réseaux, « une première étape »
11 janvier 2023
« Le phénomène de l’autodiagnostic a toujours existé », assure Aline Nativel Id Hammou, psychologue clinicienne, spécialiste de l’enfance, de l’adolescence et de la famille. Mais avec les réseaux sociaux, il s’est considérablement amplifié. Un premier pas qui ne doit surtout pas empêcher de consulter pour de vrai.
Sur Internet, les contenus consacrés à la santé mentale explosent. Quel est votre regard sur ce phénomène ?
En tant que psychologue, je pense que c’est l’un des effets positifs de la crise Covid. On parle davantage, et plus positivement, de la santé mentale et de la nécessité d’en prendre soin. On s’est rendu compte que les jeunes pouvaient souffrir, que l’anxiété et la dépression ne sont pas réservées à une partie de la population… Pour les jeunes, c’est le signe qu’il y a moins de tabou autour du fait de parler de leur santé mentale et de ce qu’ils ressentent. Quelque chose s’est démystifié, et c’est plutôt bien.
Certains de ces contenus, sur les réseaux sociaux comme TikTok et Instagram notamment, conduisent les internautes à s’autodiagnostiquer telle ou telle pathologie. Qu’en pensez-vous ?
Le phénomène de l’autodiagnostic a toujours existé : des patients qui ont regardé tel site ou lu tel ouvrage et qui sont convaincus d’avoir tels types de symptômes, de troubles. Mais avec l’explosion du nombre de livres, de sites, d’émissions, de podcasts qui parlent de santé mentale, c’est vrai que le phénomène s’est amplifié. Dans ma pratique, je constate que c’est souvent en lien avec la prise de parole d’une grande star qui fait état d’un trouble, de bipolarité ou de dépression. Il y a un phénomène d’identification et de compréhension du patient, ado ou adulte, qui se dit : « Moi aussi je vis ça, moi aussi je ressens ça ». Cette libération de la parole généralisée, c’est le versant positif. En somme, n’importe qui peut être touché.
Et le négatif ?
Il y aura toujours des débordements, des gens qui feront croire à d’autres qu’ils ont tel ou tel type de trouble et gagneront des milliers de followers, ou des gens qui auront des discours inadaptés sur les troubles. Par ailleurs, dans l’approche clinique, psychologique et psychiatrique, ce n’est pas parce que vous avez quelques symptômes qui peuvent être affiliés à la dépression que vous êtes forcément dépressif. Il y a beaucoup de critères pour poser un diagnostic, et seuls les médecins, psychiatres et pédopsychiatres sont autorisés et aptes à le faire.
Quelle doit être la posture du thérapeute ?
J’ai eu des personnes qui ne se sont pas trompées. Elles n’ont pas forcément la bonne nomination pour leur trouble ou leurs symptômes, mais la plupart du temps, elles ne tombent pas forcément très loin. Concrètement, lors de la première consultation, je commence par demander : « Dites-moi ce que vous pensez avoir ». Puis je recadre la séance en expliquant qu’il existe des évaluations psychométriques, internationalement reconnues, avec des grilles qui valident une pathologie, quel que soit l’endroit où vous vivez dans le monde. La référence, c’est le DSM-5. Et, enfin, je propose : « Vous êtes convaincu d’avoir ce type de trouble, voulez-vous que l’on fasse cette évaluation ensemble ? ». Car l’autodiagnostic, c’est une chose, mais encore faut-il le faire confirmer par un professionnel.
C’est la seule solution, lorsque l’on ressent une souffrance ?
Si on est convaincu d’avoir un trouble anxieux mais qu’on en reste au stade de l’autodiagnostic, si on ne se fait pas aider, accompagner, si on n’essaie de pas de se soigner, on restera dans une forme de souffrance persistante. Quant aux communautés qui se créent sur les réseaux autour de tel ou tel trouble, c’est comme les groupes de parole : c’est très bien, c’est un plus, mais ce n’est pas suffisant. On ne peut pas rester tout seul avec un trouble de santé mentale, il faut un accompagnement.
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Source : Interview d'Aline Nativel Id Hammou, psychologue clinicienne, spécialiste de l’enfance, de l’adolescence et de la famille - Novembre 2022
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Ecrit par : Charlotte David - Edité par : Emmanuel Ducreuzet