ORL, une naissance « technique et politique »
11 mars 2013
Une étude de l’oreille – Issue de « Leçons cliniques sur les maladies de l’oreille ou thérapeutique des maladies aiguës et chroniques de l’appareil auditif » – Paris : F. Savy, 1863.
ORL pour oto-rhino-laryngologie. Trois lettres qui depuis bien longtemps appartiennent à notre quotidien. « Officiellement, c’est le regroupement de l’étude de tout ce qui touche à l’oreille et aux voies aérodigestives supérieures » explique le Pr François Legent, ORL, professeur émérite de la Faculté de médecine de Nantes et membre de l’Académie nationale de médecine. Mais pour ce spécialiste, c’est surtout « la spécialité de la vie relationnelle. Pour pouvoir communiquer en effet, il faut entendre et pouvoir s’exprimer ». Retour sur la rencontre, un peu hasardeuse, de trois disciplines….
L’otologie, née par désintérêt…
L’étude des pathologies de l’oreille nous renvoie aux lendemains de la Révolution française. Elle est le fait d’un médecin : Jean-Marc Gaspard Itard. Venu des Alpes du Sud, il s’est retrouvé à travailler sur le sujet un peu par hasard, « parce que les grands maîtres de la médecine s’en désintéressaient ».
Durant son service militaire, Itard suit les cours de chirurgie du Baron Larrey, d’abord à Toulon, puis à Paris, au Val de Grâce et à l’école de médecine. Il n’a pas achevé son apprentissage qu’il est nommé médecin de l’Institution nationale des sourds muets de Paris, rue Saint-Jacques, en face du Val de Grâce. Nous sommes en 1800. L’abbé Sicard, directeur de l’Institution, lui confie la responsabilité de Victor. Celui qu’on appelait l’enfant sauvage de l’Aveyron et immortalisé depuis par François Truffaut.
La Révolution avait laissé la place aux charlatans. « Certains, n’hésitaient pas à mutiler les enfants pour essayer de les faire entendre » confie le Pr Legent. « Itard a donc dû faire le tri parmi toutes ces thérapeutiques empiriques. Il les a étudiées de façon scientifique». Et en 1821, il édite le premier traité concernant les maladies de l’oreille et de l’audition. « Un des grands progrès apporté par Itard fut la tentative de classement de la pathologie de l’oreille non plus en termes de symptômes mais de maladies. Son traité peut être considéré comme la première pierre à l’édifice de l’otologie moderne. »
A sa mort, son successeur, un agrégé de médecine nommé Prosper Menière n’était pas un familier des maladies de l’oreille. Mais il s’initia grâce aux publications d’Itard. Il apporta sa rigueur scientifique et finit par décrire ce que l’on nomme encore aujourd’hui, la Maladie de Méniere. Cette dernière touche l’oreille interne. Elle associe vertiges, bourdonnements et surdité. « En 1860, on s’imaginait qu’il s’agissait de congestion cérébrale » explique François Legent. « Grâce à Menière, un bon gigantesque a pu être réalisé dans la compréhension des maladies de l’oreille ». Dans le même temps, la laryngologie connaît ses premiers succès.
La laryngologie : une naissance tout aussi hasardeuse
« Le père de la laryngologie, c’est Armand Trousseau. Il fut élève de Pierre Bretonneau, médecin de Tours, l’un des premiers à avoir pratiqué la trachéotomie. » Trousseau constate rapidement l’efficacité de cette technique sur les patients souffrant d’une atteinte du larynx par la diphtérie. « A l’époque, nous sommes au milieu du XIX e siècle, il est confronté à des chirurgiens qui, par peur de l’échec, refusaient de pratiquer la trachéotomie. Trousseau a donc dû s’y coller lorsque les voies aériennes de certains patients étaient obstruées. C’est donc par contrainte qu’il est arrivé à la laryngologie. » Il a ainsi ouvert la porte à toute une génération de spécialistes, dont Charles Fauvel qui, pendant 30 ans a formé les laryngologistes en France, « mais en ville, pas à l’hôpital ».
Et la rhinologie ? Ses débuts s’avèrent plus obscurs. « Elle était considérée tant par les auristes (médecin spécialisé dans les affections de l’oreille – ndlr) que les laryngologistes comme une activité annexe pour ne pas dire accessoire de la spécialité ORL. Dans les livres et l’enseignement, elle était en outre volontiers rattachée à la laryngologie. »
Les trois spécialités s’unissent
L’ORL est donc l’association de trois spécialités : l’otologie, la rhinologie et la laryngologie. Mais comment en sont-elles venues à se fédérer ? « La réponse tient en deux mots : technique et politique. Pour voir au fond d’une oreille ou au fond du pharynx, il est nécessaire d’avoir dans le même champ, l’axe de vision et un axe lumineux (voir ci-contre). Et pendant longtemps, on a regardé à la lumière du soleil. C’était comme regarder au fond d’un puits. C’est donc parce qu’elles connaissaient des difficultés techniques communes et qu’elles recouraient aux mêmes moyens d’éclairage que les trois disciplines se sont associées ». Mais ce n’est pas l’unique raison.
S’opposer aux patrons…
L’explication politique est plus surprenante. « Au XIXe siècle, les ténors de la médecine avaient une conception encyclopédiste » déplore le Pr Legent. « Le patron devait tout savoir. Mais progressivement sont apparues des techniques qu’ils ne maîtrisaient pas. Et ils n’acceptaient pas que d’autres médecins puissent les développer. A l’inverse, en Allemagne, on cultivait les spécialités. A la fin du siècle, les Français allaient donc s’y former, là où l’enseignement était officiel. Voilà qui a contraint les otologistes et les laryngologistes à s’unir face aux grands pontes. »
Dès lors dans les années 1870, plusieurs projets de chaires spécialisées voient le jour… mais rien pour l’otologie ou la laryngologie. Un comble, dans la mesure où ces spécialités étaient bien implantées à Paris, « surtout en dehors des hôpitaux », mais ne bénéficiaient d’aucune reconnaissance officielle. Dès 1875 furent créées « « les annales des maladies de l’oreille et du larynx », premier journal français d’oto-rhino-laryngologie. « En fait, ce fut là le premier journal au monde consacré à l’ensemble de ces trois disciplines ». Son sous-titre « Otoscopie – laryngoscopie – rhinoscopie » montre bien à quel point l’examen était (et reste) essentiel. « Un examen que, rappelons le, ne maîtrisaient pas les patrons ! » insiste François Legent.
L’ORL en tant discipline était née. « C’est l’un des rares cas où la spécialité est apparue avant les spécialistes » conclut François Legent. « Chacun dominait son domaine… mais aucun ne domptait les trois. » Néanmoins, l’enseignement officiel de l’ORL se mit en place très tardivement, contrairement à celui d’autres pays, notamment de langue allemande. Il fallut attendre plusieurs décennies pour voir se créer deux chaires de la spécialité, d’abord à Bordeaux en 1913, puis à Paris en 1919.
Ecrit par : Vincent Roche – Edité par : Emmanuel Ducreuzet