Parents-enfants : la « génération boomerang »
12 mai 2021
Le passage à l’âge adulte nécessite une prise de distance avec les parents. Celle-ci s’effectue par étapes, entre la sortie de l’adolescence puis « l’envol » c’est-à-dire la décohabitation. Avec parfois – de plus en plus ? – un retour à la maison…
Bien sûr, tout démarrerait avec la fameuse « crise d’adolescence ». Puis avec le temps venu de la décohabitation, apparaissent des expressions comme « prendre son envol » ou « quitter le nid »… Les périodes de transition vers l’âge adulte sont bien souvent symbolisées ou décrites comme autant de ruptures, plutôt que des continuités, « suggérant que l’on laisse derrière soi père, mère et maison familiale », précisent les sociologues Claire Bidart et Anne Pellissier qui ont justement travaillé sur les processus de socialisation et d’entrée dans la vie adulte des jeunes.
Autonomie affective mais pas économique
Mais parfois, le départ n’en n’est pas vraiment un. « Les jeunes bénéficient de plus en plus d’autonomie mais sans avoir l’indépendance économique. Dans le modèle français, les jeunes quittent le domicile parental soutenus économiquement par leurs parents », poursuit Sandra Gaviria, sociologue (Université du Havre-Normandie). La question de l’autonomie financière apparaît donc centrale, avec l’éventuelle perspective de devoir revenir à la maison… La spécialiste normande parle de « génération boomerang ». Une étude américaine avait montré que le phénomène concernait 25% des jeunes, contre 40% aux Etats-Unis ou 20% en Allemagne ou en Suède. Avant la crise sanitaire, elle évoquait un phénomène « grandissant »…
L’image que renvoie la société sur ce retour au domicile parental a toutefois évolué. « Entre les années 1970 et 1990, il était considéré comme quelque chose d’aberrant et d’anormal. De nos jours, les familles accueillent leurs enfants sans hésitation ni négociation. Il y a une massification du retour et les parents comme les jeunes l’ont intégré comme quelque chose qui survient dans toutes les familles et aux amis ». Sauf exceptions bien sûr en cas de conflit familial, par exemple ou de rupture profonde.
L’effet de la crise sanitaire…
Comme le souligne Sandra Gaviria, « le modèle français de passage à l’âge adulte prône l’autonomie résidentielle définitive des jeunes. Le retour s’inscrit dans une trajectoire considérée comme a priori ‘non souhaitable’ ni par les jeunes, ni par leurs parents ». A ses yeux, « l’étude du passage à l’âge adulte doit prendre en compte ces retours successifs non pas comme un recul, par rapport à un temps et à un modèle passés qui n’existent plus, mais comme faisant partie de comportements actuels qui risquent de perdurer et de prendre de l’ampleur ». D’autant plus, faut-il le rappeler, à l’aune de la pandémie actuelle. Ses effets sur cette « génération boomerang » restent à évaluer. Une certitude : entre l’isolement lié aux confinements et les difficultés pour trouver de petits boulots, elle a contraint de nombreux jeunes étudiants à non seulement revenir chez leurs parents. Mais aussi à renoncer à leur envol…
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Source : Sandra Gaviria, « La génération boomerang : devenir adulte autrement », SociologieS [En ligne], Théories et recherches, mis en ligne le 07 mars 2016, consulté le 12 mai 2021. URL : http://journals.openedition.org/sociologies/5212 - Claire Bidart, Anne Pellissier. Transitions, continuités, ruptures : devenir adulte ”avec” ses parents. 3ème Rencontres Jeunes et Sociétés en Europe et autour de la Méditerranée ”Jeunes, générations : continuités/discontinuités/ruptures”, Oct 2007, Marseille, France. ffhalshs-00189713f
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Ecrit par : David Picot – Edité par : Emmanuel Ducreuzet