#pasdevagues : les enseignants abandonnés à leurs traumatismes
28 novembre 2018
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Agressions physiques, verbales, harcèlement … Les violences dont sont victimes de nombreux enseignants en France sont médiatisées depuis peu par le biais du #pasdevague. Ainsi que le manque de soutien, voire le déni de la part des chefs d’établissements, des rectorats et de leur administration de tutelle, l’Education nationale. Quels impacts ont ces violences sur la santé de ces professeurs ? Des mesures pourraient-elles éviter burn-out, épuisement professionnel et suicides ?
Une prof braquée avec une arme factice dans sa propre classe par un de ses élèves. Les images de cette violence ont été diffusées sur tous les réseaux sociaux et partagées des millions de fois, soulevant l’indignation et provoquant de très nombreux témoignages d’autres enseignants sur les réseaux sociaux sous le #pasdevague. Cet acte de violence n’est donc pas un fait divers rare dans le monde de l’Education nationale.
Mais quelles peuvent être les conséquences sur la santé des victimes ? Quelle prise en charge doit être entreprise pour éviter les syndromes de stress post-traumatique, les suicides ?
Violences ordinaires
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« Des exemples de violences psychologiques à mon encontre ou à l’encontre de collègues, de la part d’élèves, de parents, ou de l’administration ? J’en ai plein à votre disposition », lâche Bob*, professeur documentaliste en collège depuis 20 ans dans l’Académie de Nice. « Des insultes, classiques ou homophobes, des menaces de mort, des coups et blessures, le plus souvent non sanctionnés. Des élèves harceleurs ou violents exclus puis réintégrés sur injonction du Rectorat, obligeant leur victime à changer d’établissement. Des parents qui insultent des professeurs par écrit, là encore sans suite… »
De son côté, Isabelle* est enseignante en lycée professionnel depuis 22 ans dans l’Académie de Montpellier, après une réorientation professionnelle à l’âge de 38 ans. Elle est victime de harcèlement de la part de plusieurs élèves. « Vous allez souffrir cette année » lui ont-ils lancé en début d’année. Au bout de plusieurs mois de ce traitement, elle craque et le médecin la place en arrêt maladie.
« Les situations subies par les enseignants que nous recevons en consultation sont des violences caractérisées qui peuvent générer plusieurs conséquences sur leur santé physique et mentale », confirme le Dr Malik Ait Aoudia, psychologue clinicien, psychothérapeute et responsable de la recherche au Centre du Psychotrauma de l’Institut de Victimologie de Paris.
Lâchés par leur hiérarchie
Bastien*, professeur de collège dans l’Académie de Nantes, doit séparer des élèves qui se battent si violemment que l’un d’eux est emmené aux urgences, après intervention des pompiers et de la police. Cet événement le traumatise au point qu’il ne dort plus, développe les symptômes d’un choc psychologique. Sur recommandation d’un psychiatre qu’il consulte de son propre chef, son médecin traitant déclare un accident du travail. Malgré la violence de l’événement et les conséquences reconnues par le corps médical, « ni ma hiérarchie dans l’établissement, ni le Rectorat ne m’ont soutenu », souligne-t-il. Une aide psychologique a-t-elle été proposée après l’événement, aux professeurs et aux élèves témoins ? « Absolument pas », assure-t-il. Il décide alors de sa propre initiative de consulter un psychologue qui lui fait suivre un traitement.
Isabelle a également fait l’expérience d’une absence de prise en charge. « Après la tentative de suicide d’un collègue agent technique dans les locaux de l’établissement, on nous a promis la mise en place d’une cellule psychologique », raconte-t-elle. « Lorsque que j’ai contacté le Rectorat pour en bénéficier, j’ai obtenu un rendez-vous avec l’assistante sociale… »
Prise en charge par des professionnels de santé formés ?
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Pourtant, la mise à disposition d’un dispositif de prise en charge spécifique du traumatisme psychologique est fondamentale. « Avoir un service dédié et formé aux questions en rapport avec le stress post-traumatique semble être une nécessité, à un niveau départemental ou par Académie », souligne le Dr Ait Aoudia. « Sous forme par exemple de cellules de vigilance, composées de personnels de santé formés à ce trauma spécifique. »
Malik Ait Aoudia confirme que « si les ressources d’aide psychologique adaptée aux situations de stress existent dans l’Education nationale », ses patients en souffrance « ne les ont pas trouvées ».
Stress post-traumatique, un vrai risque
Insomnies, cauchemars, réminiscences, boule au ventre, stress intense… Sans traitement adapté, « il existe un risque réel que ces réactions initiales d’adaptation au stress intense évoluent vers des troubles psycho-traumatiques sévères et chroniques », souligne le Dr Ait Aoudia. « Et plus la prise en charge psycho-thérapeutique est spécialisée et précoce, plus grandes seront les possibilités de récupération et de rétablissement », insiste-t-il.
De plus, « la reconnaissance de la gravité des événements est un élément essentiel pour que la personne soit dans une phase de récupération face à une violence », ajoute-t-il. « Même lorsqu’il n’y a pas eu de conséquences visibles et immédiates. » Dans le cas contraire, « un sentiment d’impunité aggrave la souffrance de la victime ». Une situation apparemment fréquente dans l’Education nationale.
A noter : aucun des enseignants interviewés n’a bénéficié durant sa carrière d’un rendez-vous avec un médecin du travail. Et ce même après un accident du travail. Alors que son but est de « prévenir toute altération de la santé des agents du fait de leur travail », peut-on lire sur le site service-public.fr.
*Les prénoms ont été modifiés
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Source : interview du Dr Malik Ait Aoudia, psychologue clinicien, psychothérapeute et responsable de la recherche au Centre du Psychotrauma de l’Institut de Victimologie de Paris, novembre 2018 – témoignages d’Isabelle, Bob et Bastien, novembre 2018
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Ecrit par : Dominique Salomon - Edité par : Vincent Roche