PMA : l’attente des couples, la volonté des soignants

24 avril 2020

Depuis le début du confinement, les centres de PMA sont fermés par précaution. A ce jour, aucune date de reprise d’activité n’est connue. Mais les médecins et les autorités œuvrent en ce sens. L’enjeu, permettre aux couples en désir d’enfant d’avancer dans leur projet, en toute sécurité.

« Depuis le lundi 16 mars, aucun début de grossesse n’est possible dans notre centre de PMA », témoigne le Dr Frédérique Jaffré, gynécologue-obstétricienne à la Clinique Mutualiste La Sagesse de Rennes. « Nous avons simplement effectué les ponctions embryonnaires pour les femmes stimulées avant le confinement. Mais on ne pratique plus d’inséminations ni de transferts embryonnaires depuis quasiment 1 mois et demi. » Prise par précaution dans tous les centres de France depuis l’épidémie du Covid-19, cette mesure a fait l’objet de recommandations publiées par l’Agence de la biomédecine, les 14 et 25 mars 2020. 

Cas urgents et téléconsultation

Pour les cas les plus urgents, la préservation de la fertilité est maintenue. Il s’agit entre autres des méthodes de conservation d’embryons proposées aux femmes et aux hommes atteints d’un cancer, avant leur chimiothérapie, pour leur assurer un maximum de chance d’être parent un jour. 

Depuis mars et jusqu’à nouvel ordre, la téléconsultation permet de « répondre aux questions, aux inquiétudes, d’adresser des ordonnances même si on ne peut pas fixer de date de prise en charge. On effectue aussi des bilans d’infertilité à distance », détaille le Dr Jaffré. Une offre de soins adaptée, qui exacerbe la fracture sociale. « Beaucoup de personnes étrangères, précaires ou isolées n’arrivent pas à se connecter pour les téléconsultations, même si elles sont équipées. On les accompagne au maximum et beaucoup finissent par y arriver. »

Dans quel délai l’activité en PMA va-t-elle pouvoir reprendre  ? 

Il est encore trop tôt pour répondre à cette question. Mais les discussions sont en cours. Ce 23 avril, l’Agence de la biomédecine, les ARS Grand-Est et Île-de-France, les sociétés savantes* et représentants de patients étaient réunis pour évoquer les modalités de reprise d’activité. 

Aucune décision n’a été actée. Les conditions de réouverture des centres de PMA seront décidées au fil des semaines par les ARS, en fonction de la levée du confinement. « Mais nous avons été entendus et c’est un très bon signal pour les acteurs de la PMA. Les autorités françaises, et européennes** d’ailleurs, sont d’accord avec le fait qu’il faut reprendre l’activité pour ne pas faire attendre les patients », souligne le Dr Géraldine Porcu-Buisson, présidente du Groupe d’étude de la fécondation in vitro en France (GEFf) et gynécologue-obstétricienne à l’Institut de Médecine de la Reproduction de Marseille, présente à cette réunion. 

L’enjeu, faire passer les messages de précaution sanitaire, pour protéger les couples et les soignants. « L’une des priorités est la sensibilisation aux mesures d’hygiène, à appliquer dès que les centres ouvriront, pendant tout le suivi. » Idem concernant les règles de distanciation sociale. Il est possible que « les consultations soient espacées pour que les femmes ne se croisent pas en salles d’attente. Les prises en charge pourraient ainsi s’étaler sur les 7 jours de la semaine ». 

Autre point soulevé lors de cette discussion du 23 avril, la demande de report en 2021 de la mise aux normes des laboratoires. Un projet initialement prévu cet été dans les centres de PMA nécessitant la fermeture des structures. Si les centres devaient fermer en juillet et août, « les gens qui auraient dû être pris en charge en mars et décalés à l’été auront un retard de 6 mois au lieu de 3 », projette le Dr Porcu-Buisson. 

Une avancée pas à pas

« Aucune date de reprise d’activité n’est à ce jour connue. » Mais dans le clan des optimistes, les projections restent indispensables. « Si l’on peut rouvrir nos centres à partir du 11 mai, l’activité ne pourra reprendre normalement qu’à la mi-juin », atteste le Dr Jaffré. « Le temps que les gens reviennent en consultation, que le jour J du transfert en fonction des cycles menstruels arrive pour chaque femme… les choses font se faire tout doucement au sein de circuits de prise en charge à repenser. »

Nuance, patience et vigilance au sujet des risques de contamination. A ce jour, le Covid-19 n’a été retrouvé dans aucune des gamètes prélevées avant le confinement, ni ovocyte ni spermatozoïdes. Les preuves probantes de contamination materno-fœtale n’existent pas. Et aucune trace de Covid-19 n’a été retrouvée au sein des laboratoires de PMA. Mais les précautions sont de mises. « On reste en France sur un vécu des problèmes sanitaires, qui fait que tout le monde se couvre. Le risque est qu’à la moindre pathologie d’un fœtus ou d’un bébé pendant l’épidémie, on pense tout de suite qu’il s’agit d’une conséquence du Covid-19, sans preuve réelle à ce jour », estime le Dr Jaffré. 

Pour une analyse précise de la situation, un système de veille va être mis en place par l’Agence de la biomédecine : l’AMP Vigie Covid-19. L’enjeu, faire remonter tous les cas d’infections au Covid-19 survenues chez les femmes prises en charge en PMA depuis le début de l’épidémie.

D’autres interrogations vont aussi arriver sur la table. « Devra-t-on automatiquement effectuer des tests Covid-19 auprès des femmes avant chaque début de prise en charge en parcours PMA ? Que faire si une contamination se confirme au cours de la ponction, du transfert, ou pendant une grossesse ? A quel point aurons-nous accès aux tests ? Seront-ils fiables ? ». On l’aura compris, la reprise d’une activité normale semble poser plus de questions que la mise en place des procédures lors du confinement déployées à la mi-mars. 

La double peine des couples

Dans ce contexte, les désirs d’enfant peuvent être éprouvés. « Certains couples préfèrent attendre que l’épidémie se calme pour repartir en parcours PMA. Les incertitudes et les mauvaises passes économiques diminuent souvent l’activité en PMA », témoigne le Dr Jaffré. « C’était le cas avec la crise économique de 2008. Les gens se projettent plus difficilement. » 

Tout est aussi question de personnalité. « Certaines femmes et couples restent motivés pour continuer ou commencer un suivi » Notamment quand l’horloge biologique tourne. C’est le cas de C., prise en charge en PMA à Rennes depuis juillet 2019. « J’ai 40 ans, une tranche d’âge où le temps compte, une tranche d’âge où il y a urgence », décrit-elle. Entre juillet 2019 et janvier 2020, C. a traversé plusieurs étapes difficiles. « Une fausse couche liée à une grossesse biochimique***, une opération de la cloison utérine puis deux tentatives échouées d’insémination artificielle conjugale**** », relate-t-elle. « Le lendemain du confinement, je devais commencer les étapes pour une fécondation in vitro. La ponction devait avoir lieu dans la semaine du 23 mars. Tout s’est arrêté d’un coup. »

C. sera prise en charge dès que son centre réouvrira. Mais d’ici là, « je me sens discriminée. Je suis privée de projet de grossesse, alors qu’on ne dit pas aux couples qui auront des enfants naturellement dans 9 mois d’arrêter d’avoir des rapports sexuels actuellement, par précaution. Mon parcours de vie a fait que je n’ai pas pu avoir d’enfant avant, mais ce n’est pas un choix d’être pris en charge en PMA à 40 ans. Or aujourd’hui, mon avenir familial dépend d’instances qui n’ont pas de contact direct avec les patients. Je comprends la précaution, mais c’est dur à vivre. Heureusement, ma gynécologue garde le lien en téléconsultation ». Une relation thérapeutique essentielle pour préserver la motivation des femmes et des couples. « J’y crois de moins en moins vu le contexte, mais je compte bien reprendre mon protocole de FIV et mes séances d’acupuncture dès que possible », maintient C., la voix pleine de ressource… et d’émotion.

 

*Sociétés savantes représentant les biologistes, les médecins cliniciens et les sages-femmes, les spécialistes de l’andrologie, les Comité de lutte contre les infections nosocomiales (CLIN) et les représentants de patients

**Dans les recommandations du 23 avril 2020, la Société Européenne de Reproduction Humaine et d’Embryologie (ESHRE) préconise « une réouverture progressive des centres de PMA étant donné la stabilisation actuelle de l’épidémie du Covid-19, avec toutes les précautions sanitaires nécessaires (…) excepté pour les femmes présentant des facteurs de risque tels que l’hypertension, le diabète, la prise d’immunosuppresseurs, une maladie rénale ou hépatique chronique »

***Arrêt du développement embryonnaire peu de temps après l’implantation 

****Sélection des spermatozoïdes introduits dans la cavité utérine, le jour de l’ovulation

  • Source : Interview du Dr Frédérique Jaffré, gynécologue-obstétricienne à la Clinique Mutualiste La Sagesse de Rennes, le 22 avril 2020 – Interview de C, patiente, le 23 avril 2020. Interview du Dr Géraldine Porcu-Buisson, présidente du Groupe d’étude de la fécondation in vitro en France (GEFf) et gynécologue-obstétricienne à l’Institut de Médecine de la Reproduction de Marseille, le 24 avril 2020 – Recommandations de l’Agence de la biomédecine, le 14 et 25 mars 2020. Recommandations de l’ESHRE, le 23 avril 2020

  • Ecrit par : Laura Bourgault - Edité par : Emmanuel Ducreuzet

Aller à la barre d’outils