Polio : une éradication retardée

11 février 2013

La poliomyélite touche principalement les enfants de moins de cinq ans. ©OMS/WHO P.Virot

La poliomyélite sera-t-elle la seconde maladie au monde, après la variole, à être éradiquée ? Le Pr Michel Rey, spécialiste des maladies infectieuses et tropicales, le souhaite vivement mais reste pessimiste. Membre correspondant pour l’Académie nationale de Médecine, il retrace l’ensemble des progrès réalisés dans la lutte contre cette maladie millénaire. Mais il sait que les défis à relever sont nombreux pour faire disparaître la poliomyélite.

« Polios en grec signifie gris, myelos correspond à la moelle, et ite, inflammation », explique le Pr Rey. « La poliomyélite se caractérise en réalité par une destruction des neurones périphériques de la basse moelle épinière se traduisant par une paralysie définitive des membres inférieurs. Celle-ci peut aussi atteindre les membres supérieurs et les muscles respiratoires ». La polio est un vieux fléau de l’humanité, comme le montrent certaines fresques égyptiennes,  témoignant de la présence de cette maladie pendant l’Antiquité. Cela fait donc des milliers d’années que sévit  la polio. Toutefois, il faudra attendre le 19e siècle pour l’identification de cette affection. « La poliomyélite a été caractérisée d’abord  comme une paralysie infantile, atteignant les très jeunes enfants ».

Les progrès les plus significatifs tant sur le plan des connaissances relatives à la maladie que de l’immunisation datent du 20e siècle. Les recherches internationales, notamment américaines, ont abouti à l’identification des virus par Enders en 1949,  puis à la mise au point du vaccin inactivé injectable par Jonas Salk  en 1955. Et enfin, celle du vaccin vivant oral par Albert Sabin, en 1956.

Les trois poliovirus appartiennent à la famille des enterovirus, ou virus entériques. Ils pénètrent dans l’organisme par voie buccale, se multiplient dans le tube digestif et sont excrétés dans les selles. La transmission par voie orale se fait soit directement à partir d’une  personne contagieuse (rôle des mains sales), ou indirectement par une eau de boisson ou un aliment contaminé. Il arrive aussi que les poliovirus survivent quelques semaines, en été, dans l’eau douce stagnante et tiédie d’un étang contaminé par des eaux usées d’origine humaine ».

Un programme mondial lancé en 1988

Après la découverte des vaccins, de grandes campagnes d’immunisation ont été menées à travers le monde, avec de vrais succès dans les pays développés. La dernière grande épidémie européenne  (Suède 1954) avait montré que l’âge de la maladie s’était déplacé, à la suite des progrès de l’hygiène, vers les adolescents et les jeunes adultes. Ces derniers étaient plus gravement atteints que les jeunes enfants. « C’est seulement à partir de 1975 que l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a décidé de vacciner les enfants des pays pauvres. A cette époque, on estimait à  500 000, le nombre des  nouveaux cas de paralysies poliomyélitiques chaque année  dans le monde. Environ une sur dix était mortelle, par asphyxie, due à l’atteinte des muscles respiratoires. Suite au succès de l’éradication de la variole en 1979, l’OMS a lancé ln programme d’éradication mondiale de la polio en 1988. Ce programme repose sur la vaccination généralisée de tous les enfants du monde, y compris ceux des pays en développement, où est utilisé le  vaccin oral, peu onéreux et facile à administrer, et sur la surveillance dans tous les pays des cas de paralysie flasque imputables à la polio ».

Les résultats ont été spectaculaires. La polio a été éliminée dans la plupart des pays . En 2012 seulement 127 cas ont été déclarés, et 3 pays seulement sont encore endémiques. Mais l’éradication mondiale prévue en 2000, puis en 2005, ne cesse d’être repoussée. Pourrons-nous l’obtenir en 2020 ?

L’essai n’est pas encore transformé. La faute au virus, ou à l’application parfois insuffisante du programme ?   Oui en partie, mais les responsables sont avant tout certains politiques. Aujourd’hui, la polio est toujours endémique en Afghanistan, au Nigeria et au Pakistan, où nous devons faire face au refus religieux de la vaccination. En 2004, les autorités de l’Etat de Kano au Nigeria ont décidé de suspendre les campagnes de vaccination. Un refus exprimé par les autorités musulmanes, arguant que sous couvert d’action humanitaire, les Etats-Unis ne tentent d’inoculer aux Africains le virus du VIH/SIDA et de les stériliser ! « Deux ans plus tard, le Nigeria a déclaré plus de 1 000 cas. Par la suite 25 pays ont été  ré-infectés dans le monde, en Afrique et en Asie. En Afghanistan et au Pakistan, le vaccin est également refusé pour des raisons religieuses. Cela va très loin, puisque 9 agents de santé ont été assassinés l’an dernier par les Talibans car leur travail de vaccinateur était considéré comme un crime ».

Un risque d’importation faible mais pas nul

Au-delà des freins d’ordre religieux, la poliomyélite est une maladie difficile à contrôler. « Le problème c’est que sur 200 cas d’infections par les poliovirus, un seul cas détermine une paralysie. La polio est donc une infection la plupart du temps inapparente, ce qui rend difficile sa surveillance. Par ailleurs, nous savons, que certains immunodéprimés, peuvent garder le virus dans leur intestin pendant plusieurs années, et  pourraient être une source de contamination bien après la disparition mondiale des paralysies ».

Et en France ? Comme dans la plupart des pays développés, la situation est bien plus optimiste. « La couverture vaccinale dans notre pays est excellente, près de 98% des enfants sont immunisés contre la polio. Mais il ne faut pas relâcher la vigilance. Et il est important d’insister sur l’importance d’un rappel tous les dix ans chez les adultes ». Le dernier cas autochtone en France date de 1989 et le dernier cas importé a concerné un jeune militaire mal vacciné revenant de Côte d’Ivoire en 1995. Enfin, le Pr Rey souligne le manque d’expertise médicale liée à la polio aujourd’hui dans l’Hexagone. « En France, 99% des médecins en France n’ont jamais vu un seul cas de polio et pensent que la maladie a disparu du monde. Or si  le risque d’importation à partir des pays encore contaminés est faible, il n’est pas nul ! »

  • Source : Interview du Pr Michel Rey, 25 janvier 2013

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