Pourquoi créer un « supervirus » grippal ?
06 décembre 2011
Le spectre d’une pandémie grippale agite à nouveau la communauté scientifique mondiale. Un chercheur néerlandais a en effet conçu dans son laboratoire un virus grippal aussi contagieux que le virus saisonnier. Et surtout, aussi mortel pour l’Homme, que l’actuel virus de la grippe aviaire H5N1 !
Ron Fouchier et son équipe du Erasmus Medical Centre de Rotterdam (Pays-Bas) ont travaillé à partir du virus aviaire H5N1. Ils ont initialement réalisé 3 mutations génétiques sur cette souche avant de l’injecter à des furets. Tandis que d’autres n’ont pas été infectés. Comme c’est le cas chez l’homme – où le taux de mortalité associé au virus H5N1 est de 60% – une partie des animaux a succombé et le virus n’a pas été transmis entre eux.
Dans un second temps, les scientifiques ont prélevé le virus sur les furets malades avant de l’injecter directement à des furets sains. Ils ont répété l’opération 10 fois avant de voir apparaître une nouvelle souche. Cette dernière a non seulement tué une partie des furets contaminés, mais aussi d’autres, dans les cages voisines. Le virus était donc devenu hautement contagieux. Lorsqu’ils ont analysé cette nouvelle souche virale, Fouchier et ses collègues ont constaté deux nouvelles mutations.
Cinq mutations avant que H5N1 ne s’adapte…
Selon le Dr Bruno Lina, Directeur du Centre national de référence de la grippe à Lyon, « ce travail nous apprend surtout qu’un nombre restreint de mutations génétiques peut rendre ce virus H5N1 très contagieux ». Tout en restant aussi mortel qu’actuellement !
Le Dr Lina ajoute que « Ron Fouchier a travaillé sur le furet parce qu’il constitue un modèle animal très pertinent pour étudier les virus grippaux. Dorénavant, la question est de savoir si ces mutations génétiques peuvent survenir dans la nature, chez l’Homme. Là, on ne sait pas ».
Une arme bioterroriste en puissance ?
Au-delà de l’aspect sanitaire, ce travail soulève de nombreuses questions en Europe et aux Etats-Unis. Des voix s’élèvent face à ce qui pourrait constituer une redoutable arme bioterroriste. A tel point que la publication de ce travail dans une revue de référence – Science en l’occurrence – apparaît compromise. Le manuscrit est en tout cas entre les mains du Comité américain sur la biosécurité – U.S. National Science Advisory Board for Biosecurity (NSABB).
Le Dr Bruno Lina connaît bien Ron Fouchier. « Il faut arrêter de le présenter comme un chercheur fou qui travaille dans son coin. Son objectif était d’identifier les éléments qui peuvent permettre à ce redoutable virus H5N1 de s’adapter à l’Homme. Il a fait ce travail après avoir demandé et obtenu l’accord des autorités compétentes de son pays ».
Un niveau de sécurité suffisant ?
Auraient-elles dû donner leur aval ? Pour Bruno Lina, « l’éventuelle question de la responsabilité se situe à ce niveau ». Le laboratoire de Ron Fouchier est-il suffisamment sécurisé et confiné pour effectuer de telles manipulations et conserver de tels « supervirus » ? « Il exerce dans un laboratoire P3+ », ajoute le chercheur français, « ce qui constitue un haut niveau de sécurité ». Il est toutefois inférieur au niveau P4, le plus élevé et qui correspond à une zone de haut confinement pour la manipulation de micro-organismes très pathogènes. Il en existe six en Europe dont un en France, le laboratoire P4 Jean Mérieux à Lyon.