Prescriptions hors AMM : des situations très hétérogènes
30 mai 2011
Depuis l’affaire du Médiator®, la question de la prescription hors Autorisation de Mise sur le Marché (hors-AMM) est régulièrement posée. Sous quelles conditions un médecin a-t-il le droit prescrire un médicament hors-AMM ? Pourquoi doit-il parfois en passer par cette pratique? Les réponses de deux spécialistes : un magistrat et un médecin.
Rappelons tout d’abord que la prescription hors AMM n’est pas interdite par la loi. “La liberté de prescrire est un principe de base en médecine” rappelle le magistrat Christian Byk, conseiller à la Cour d’appel de Paris et rédacteur en chef du Journal international de Bioéthique. “Ce n’est donc pas une faute en soi de prescrire hors-AMM… tant que certaines conditions sont respectées.”
Données acquises de la science, besoin médical et information du patient
La première des conditions auxquelles doit satisfaire le médecin prescripteur est de fonder sa décision sur les données de la science. Pour prescrire hors-AMM en toute légitimité, il doit donc se baser sur des résultats publiés dans des revues scientifiques, ou sur les recommandations de sociétés savantes.
Par ailleurs, “la présomption d’efficacité ne suffit pas“, précise le Pr Michel Detilleux, du service de médecine interne de l’hôpital Cochin à Paris. Membre de la Commission d’AMM de l’Agence française de Sécurité sanitaire des Produits de Santé (AFSSaPS), il est fin connaisseur de la question… “Il faut aussi qu’il existe un besoin médical, non rempli par d’autres médicaments qui disposeraient d’une AMM.” nous a-t-il expliqué en marge du colloque « Les événements de l’Année en Bioéthique », organisé par le Journal International de Bioéthique (Paris).
Enfin, le médecin doit informer son patient du fait que la prescription qui lui est faite l’est en dehors de l’AMM. Il doit lui en expliquer les raisons. “L’absence de consentement du patient constitue une faute civile, même en l’absence de dommage” souligne Christian Byk. Dernière obligation vis-à-vis cette fois-ci de l’Assurance-maladie : le médecin doit indiquer sur l’ordonnance la mention ‘NR’ (pour non-remboursable).
Des situations variables
Hors indications autorisées, hors posologie, hors durée de traitement ou encore à des fins de dopage… Le Pr Detilleux décrit également « des situations très hétérogènes » en matière de prescription hors-AMM. A tel point que “cela peut aller de prescriptions très recommandables, à des pratiques déviantes voire interdites.“.
A l’inverse, les ATU (pour Autorisation temporaire d’utilisation) sont des pratiques très encadrées. Elles sont délivrées dans des cas très précis, et permettent de traiter des patients en échec thérapeutique, avant qu’un médicament ne reçoive son AMM. Elles concernent le plus souvent des molécules qui ont une AMM à l’étranger mais pas encore en France.
Pédiatrie
La pédiatrie est l’une des spécialités où la prescription hors-AMM est la plus couramment répandue. Pour une raison simple: les médicaments sont rarement évalués sur des enfants! “L’Union européenne a mis au point il y a quelques années seulement [en 2006, ndlr] un système obligeant les demandeurs d’AMM à faire des études en pédiatrie, ou à justifier leur absence” explique le Pr Detilleux. “Les produits qui ont été mis sur le marché avant cette date ne disposent donc pas d’études cliniques ou de formes pharmaceutiques appropriées. Il s’agit d’une situation typique de prescription hors AMM.”
Obtenir une AMM
“Des médicaments actuellement prescrits hors-AMM, pourraient obtenir cette autorisation. Pourtant, il s’agit là d’une procédure lourde et coûteuse, dont l’initiative appartient uniquement à l’industrie” souligne-t-il. Or quand un traitement existe déjà sous une forme générique, un laboratoire pharmaceutique n’a aucun intérêt à investir du temps et de l’argent dans une telle démarche. “Une évolution souhaitable serait que les pouvoirs publics puissent prendre ce type d’initiative, sans attendre qu’un laboratoire le fasse” suggère Michel Detilleux. Cette évolution est actuellement discutée, et a fait l’objet de discussions dans le cadre des [Assises du médicament, dont les conclusions devraient être connues fin mai.
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Source : Colloque « Les événements de l’Année en Bioéthique », organisé par le Journal International de Bioéthique, 20 mai 2011, Paris – Interview du Pr Michel Detilleux, 23 mai 2011.