Quand l’horloge biologique se dérègle…
02 avril 2013
Ce type d’armoire de chronobiologie est notamment utilisé pour l’étude des rythmes chez les petits animaux. ©Y.Touitou
L’horloge biologique, qui régule notre vie mais aussi celle des plantes, des insectes et autres mammifères existe-t-elle vraiment ? « Absolument, elle est située dans notre hypothalamus », répond le Pr Yvan Touitou, chronobiologiste, membre de l’Académie nationale de Médecine. Que se passe-t-il d’ailleurs lorsqu’elle s’ « enraye » ? Eléments de réponse.
Désynchronisation. Dans les vingt dernières années, de nombreux travaux ont été conduits autour de la génétique des rythmes. Mais aussi et surtout autour des mécanismes susceptibles d’altérer l’horloge biologique. « Il s’agit d’une petite structure composée de 10 000 à 20 000 neurones et située au sein de l’hypothalamus antérieur », explique Yvan Touitou. « Il s’agit d’une véritable entité organique. » Elle tient bien sûr une place centrale dans le dispositif de régulation puisque selon lui : « un organisme en bonne santé est un organisme dans lequel il n’y a pas de hiatus entre l’environnement et cette horloge. Autrement dit, l’homme étant un animal diurne, l’horloge sait intégrer les messages apportés par la lumière le jour et par l’obscurité la nuit ». En cas de déséquilibre, lorsque ces messages sont inversés, l’horloge est désynchronisée.
Les exemples ne manquent pas. Ils sont d’ailleurs l’objet de nombreuses études. Le Pr Touitou insiste notamment sur l’impact du travail posté et de ses conséquences sur la santé. « Pendant le travail de nuit, la lumière va freiner la sécrétion de mélatonine. Les effets sur la santé peuvent être importants car cette hormone est oncostatique, c’est-à-dire qu’elle bloque la prolifération des cellules cancéreuses. Plusieurs études épidémiologiques ont décrit un lien entre le travail de nuit et l’augmentation du risque de cancer du sein. Particulièrement chez les femmes qui exercent de nuit (3 fois par semaine) pendant au moins 30 ans. C’est aussi la raison pour laquelle le travail posté a été listé comme cancérogène probable par l’OMS. »
Le manque de soleil hivernal constitue aussi un élément majeur de désynchronisation. Particulièrement dans les pays nordiques bien-sûr. « La dépression saisonnière a été mise en évidence dans les années 70-80 par un jeune psychiatre américain, Norman Rosenthal », poursuit Yvan Touitou. « Depuis son étude princeps il a été amplement démontré qu’une exposition matinale à la lumière était efficace sur ce type de dépression particulière. A condition bien-sûr que cette luminothérapie soit réalisée sous contrôle médical. Il existe en effet de nombreuses contre-indications à la luminothérapie comme la cataracte par exemple ». Autrement dit, n’achetez pas d’appareil de luminothérapie en supermarché pour vous en servir comme bon vous semble…
Accorder les horloges…De nombreux travaux se poursuivent également pour optimiser l’utilisation de la lumière comme « agent de resynchronisation, notamment chez les travailleurs postés », souligne-t-il. « D’une manière générale, nous sommes face à des perspectives de recherches importantes aussi bien sur le plan fondamental que sur le plan de leurs applications cliniques ». En matière de génétique bien sûr mais pas seulement. L’un des défis futurs sera notamment de mieux cerner le rôle et la place des horloges périphériques qui se trouvent à côté de l’horloge centrale. Et le Pr Touitou de citer « la peau, le foie, les surrénales et encore la rétine. Savez-vous par exemple qu’un aveugle qui n’a plus de cellules rétiniennes se plaint de son sommeil ? La lumière a donc bien un rôle dans le contrôle de ce rythme. Mais quelles relations existe-t-il entre toutes ces horloges ? Qui dirige qui ? C’est l’objet des recherches actuelles. »
Les études se poursuivent aussi en matière de chronopharmacologie, dont l’un des pères est le Français Alain Reinberg. Grâce à cette discipline, «nous savons aujourd’hui que le fait d’administrer un médicament à un moment de la journée plutôt qu’à un autre, va donner des résultats différents en termes de toxicité et d’effet thérapeutique. L’objectif étant de déterminer quand il sera le plus efficace possible et le moins toxique. »
Yvan Touitou cite le cas de l’hydrocortisone indiquée « dans la prise en charge des rhumatismes ou de l’asthme. Auparavant, le patient prenait son traitement matin, midi et soir. Il a été montré que la prise des deux tiers de la dose le matin et un tiers avant 15h permet de minimiser les effets secondaires tels que par exemple le risque d’ostéoporose. »
Même constat pour l’anesthésie locale effectuée chez le dentiste. « Nous savons aujourd’hui, que pour une même durée d’anesthésie (20 minutes), nous avons besoin de deux fois moins d’anesthésique lorsque l’intervention est réalisée à 15h par rapport à tout autre moment de la journée. Voilà qui est intéressant notamment pour les enfants et les personnes âgées, non ? » Et ce n’est pas terminé. La chronobiologie n’a pas fini de dévoiler ses mystères…
Ecrit par : David Picot – Edité par Emmanuel Ducreuzet