Quel est l’impact de la dépression sur la mémoire ?
27 octobre 2023
En cette journée européenne de la dépression, focus sur une caractéristique de l’état dépressif qui peut inquiéter au premier abord : les troubles de la mémoire. Les explications rassurantes du Pr Francis Eustache, spécialiste en neuropsychologie de la mémoire.
Petite distinction : la dépression n’est pas une maladie de la mémoire mais les troubles de l’humeur entraînent des troubles de la mémoire. Le Pr Francis Eustache, neuropsychologue, dirige l’unité de recherche de l’Inserm “Neuropsychologie et imagerie de la mémoire humaine” à l’université de Caen-Normandie, et préside le conseil scientifique de l’Observatoire B2V des mémoires. Il a accepté de répondre aux questions de Destination Santé.
Comment résumeriez-vous l’impact de la dépression sur la mémoire ?
Je dirais qu’il s’agit d’une mémoire moins disponible et orientée vers des contenus négatifs qui aboutissent à des idées noires. Car en plus de l’altération temporaire des mécanismes de la mémoire, les contenus peuvent être modifiés. Les idées noires envahissent les souvenirs qui, à leur tour, envahissent les pensées de la personne dépressive. C’est un cercle vicieux. Globalement, la dépression peut entraîner des troubles de la mémoire en raison de difficultés de concentration, de troubles du sommeil et de ralentissement idéomoteur. Ce dernier terme signifie que le patient déprimé ressent des difficultés à exprimer ses idées et le fait lentement. Son débit verbal est aussi ralenti : le ralentissement concerne à la fois la marche des idées et leur expression dans le langage.
Comment la dépression peut-elle affecter la mémoire ?
La dépression peut affecter la mémoire de différentes façons, par des difficultés de concentration donc, mais aussi à maintenir l’attention sur la réalisation des tâches. Cela peut rendre difficile la mémorisation d’informations nouvelles. Les personnes dépressives peuvent, en plus, présenter des difficultés à utiliser leur mémoire dite « de travail », ce qui peut affecter leur capacité à résoudre des problèmes et à retenir des informations à court terme. La dépression peut aussi entraîner des distorsions de la mémoire « autobiographique », où les souvenirs personnels sont teintés de négativité. D’où un rappel sélectif de souvenirs négatifs et une perte de souvenirs positifs. La mémoire épisodique, responsable du rappel d’événements spécifiques est également touchée : les personnes dépressives peinent à se rappeler des détails d’événements passés en raison de perturbations au sein de cette mémoire. Par ailleurs, les troubles du sommeil, fréquents chez les personnes dépressives, affectent la consolidation de la mémoire à long terme. Cela signifie que la création de nouveaux souvenirs peut être compromise.
Comment savoir si les troubles de la mémoire sont liés à une dépression ou annoncent une maladie d’Alzheimer ?
Dans la maladie d’Alzheimer, on observe des troubles authentiques de la mémoire, c’est-à-dire que la personne ne parvient pas à enregistrer de nouvelles informations, tout en oubliant des informations et des souvenirs. Les tests neuropsychologiques, utilisés dans les « Consultations mémoire », permettent de préciser l’étape qui est altérée dans la formation des souvenirs : encodage (ou enregistrement), stockage, et récupération (ou rappel).
En revanche, dans la dépression, les informations sont mémorisées mais elles sont parfois difficilement disponibles. C’est pourquoi on parle plutôt de troubles de la mémoire « apparents », car il suffit que le patient dispose des bons indices de rappel (le début des mots présentés dans la phase d’encodage ou leur catégorie sémantique : « c’était un nom d’animal, de fruit », etc.), pour qu’il retrouve l’information. A l’inverse, ces indices aident peu le patient souffrant de maladie d’Alzheimer.
Un autre point notable dans l’état dépressif est la distorsion de la perception du temps et de la projection dans le futur. La personne dépressive a l’impression d’un temps qui s’accélère. Les souvenirs épisodiques biographiques sont rares, émoussés et « sur-généralisés » (généralisation exagérée), parce que le dépressif est replié sur lui-même avec une émotion émoussée et entièrement centrée sur la tristesse.
La personne retrouve-t-elle ses capacités de mémoire une fois l’épisode dépressif résolu ?
Les recherches en neurosciences, qui utilisent notamment les méthodes d’imagerie cérébrale fonctionnelle, vont dans le même sens que les descriptions cliniques. Toutes montrent un dysfonctionnement des circuits qui unissent les régions préfrontales (en avant du cerveau) et les hippocampes, impliqués dans la mémoire épisodique. Conclusion : dans la dépression, ce ne sont pas vraiment les mécanismes de la mémoire qui sont touchés, mais davantage les stratégies qui permettent à la mémoire de bien fonctionner. Pas d’inquiétude cependant, la personne retrouve de bonnes capacités de mémoire, ce qui suggère que les altérations sont réversibles.
Pour en savoir plus : Eustache F et Desgranges B, Les nouveaux chemins de la mémoire, Paris, Ed. Le pommier, 2020.
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Source : interview du Pr Francis Eustache, neuropsychologue, président du conseil scientifique de l'Observatoire B2V des mémoires
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Ecrit par : Hélène Joubert – Édité par Emmanuel Ducreuzet