Santé auditive : attention à la musique compressée !
18 janvier 2024
La musique peut nuire à la santé auditive. Quand elle est trop forte notamment, mais pas uniquement. Les sons surcompressés, une pratique apparue avec la musique amplifiée, peut aussi être responsable de dommages sur notre système auditif. Explications.
A l’occasion de la 21eme Semaine du son, organisée par l’Unesco, l’Institut YouGov dévoile les résultats d’une étude sur les habitudes d’écoute des Français et leur santé auditive. Selon cette enquête, menée pour la plateforme de streaming Qobuz, 73 % des 18-24 ans déclarent avoir une écoute à risque, « prolongée et à haut volume » – ils sont 62 % dans la population générale. Les plus jeunes paraissent toutefois plus sensibilisés que leurs aînés à l’impact de la qualité sonore sur la santé auditive : 66 % reconnaissent le lien de cause à effet quand seulement 54 % de la moyenne générale en a conscience.
Selon l’OMS, plus d’un milliard de jeunes (de 12 à 35 ans) risquent de souffrir de pertes auditives dues à l’exposition au bruit lors de loisirs dans les concerts, en boîte de nuit ou en écoutant de la musique au casque. Le volume sonore est évidemment en cause mais la compression du son y participe aussi.
La compression du son, c’est quoi ?
« Il s’agit de compression dynamique – la différence entre le son le plus fort et le son le plus faible – et non de compression des fichiers. Cette compression est héritée de l’avènement de la musique amplifiée et de l’enregistrement (fixation du son, micro, instruments électriques, ndlr) », explique le Pr. Paul Avan, professeur de biophysique à l’université de Clermont-Auvergne qui a étudié l’impact de cette musique compressée sur le système auditif. « Cette pratique a ensuite permis d’augmenter la portée des ondes radio. Aujourd’hui inutile avec la musique numérique, le son compressé est toujours utilisé pour empêcher des sons parasites d’interférer avec les sons pertinents », explique le biophysicien, directeur du Centre de recherche et d’innovation en Audiologie humaine (Ceriah) à l’Institut Pasteur.
En visioconférence, sur les plateformes, à la radio, la télévision
La musique alterne entre des sons faibles et des sons plus forts. Lorsqu’il s’agit de sons faibles, ceux-ci peuvent être couverts par des bruits parasites, comme la circulation, une foule, le moteur d’une voiture… « Les diffuseurs, ingénieurs ont alors eu l’idée de remonter les sons dès lors qu’ils sont inférieurs à un certain niveau de décibels. Ainsi, le choix délibéré est de retirer tous les silences afin que le bruit environnant ne puisse plus s’infiltrer dans les moments de silence », précise Paul Avan. Le son est également plus homogène : finis les sons très forts et ceux très bas.
On retrouve ce procédé dans les publicités, à la radio, en utilisant son smartphone, sur certaines plateformes musicales en streaming. Parmi les sons dernièrement compressés : la parole. « En visioconférence, la plupart des plateformes compressent le son, de sorte que quand vous avez la parole, on n’entend plus que vous. Le niveau de la parole est amplifié mais aussi la respiration, les bruits de bouches, et l’ensemble des bruits environnants. » Le problème pour la santé auditive de cette compression ? « A force de retirer des silences, mêmes pour des durées extrêmement courtes, le système auditif ne peut plus récupérer », explique le Pr. Avan.
Les neurones auditifs endommagés
Pour connaître l’impact de la musique compressée, lui et son équipe ont exposé des cochons d’inde – qui ont un système auditif proche de celui de l’Homme – a une musique surcompressée, au niveau sonore autorisé en boîte de nuit (102 dB), durant 4 heures. Un autre groupe a été exposé au même morceau, aux mêmes décibels, mais non compressé. Résultats : dans le groupe exposé à la musique surcompressée, les capacités auditives n’étaient pas affectées mais les neurones auditifs ont durablement perdu en efficacité ; l’autre groupe a récupéré ces capacités en quelques heures seulement. « La capacité du réflexe acoustique (qui protège l’oreille interne du bruit, ndlr), dirigé par le cerveau, avait diminué de moitié durant une semaine entière. Une semaine sans récupérer ces capacités pour seulement 4 heures d’exposition signifie qu’il peut s’agir de lésions et pas simplement de fatigue auditive », avance le scientifique. « D’autres neurones ont également pu être endommagés, mais on ne sait pas tous les mesurer ».
La majorité d’entre nous ne se rend pas compte qu’il est soumis au son compressé, en écoutant de la musique ou lors d’une visioconférence. « Mais on a parfois cette sensation d’épuisement, cette impression d’être en excès de travail, de sollicitation. », décrit le scientifique.
Une nouvelle étude, également menée par Paul Avan et son équipe, montre qu’outre la compression, certains types de musique provoquent l’épuisement du système auditif quand d’autres non. Rien n’à voir avec le fait qu’il s’agisse d’un morceau de classique, de rock, de métal, de jazz ou de rap. « C’est la richesse de la palette spectrale qui entre cette fois en ligne de compte. Et notamment les morceaux où on trouve beaucoup de médiums, de graves et d’aigus sur diverses pistes sonores. » Reste encore à déterminer précisément ce que contient une partition qui pourrait endommager le système auditif.
A noter : à l’occasion de la Semaine du son, un label de qualité sonore sera proposé par les professionnels. « L’émergence de ce label doit permettre de donner enfin des outils aux gens pour apprécier la qualité de la musique qu’ils écoutent », conclut Paul Avan.
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Source : Sondage de YouGov pour Qobuz - interview du Pr. Paul Avan, biophysicien à l’université de Clermont-Auvergne, le 16 janvier 2024
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Ecrit par : Dorothée Duchemin – Edité par Emmanuel Ducreuzet