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Comment la schizophrénie est-elle diagnostiquée ?
Mylène Moyal : Pour être diagnostiqué, il faut présenter des symptômes dans deux des groupes de symptômes impliqués dans la schizophrénie : soit des symptômes délirants ou des hallucinations, des symptômes de désorganisation (de la pensée, du discours, des gestes) et des symptômes négatifs (retrait, perte de motivation…). Ces symptômes doivent en outre avoir un impact sur le fonctionnement au quotidien (capacité à travailler, à sortir, à entretenir des relations sociales…), depuis au moins 6 mois.
Quelles sont les causes de la schizophrénie ?
On ne peut pas répondre avec certitude à cette question et on sait qu’il y a plusieurs causes sous-jacentes. La schizophrénie est une pathologie du cerveau qui touche la neurotransmission. On a identifié des mutations sur des gènes impliqués dans le fonctionnement des neurotransmetteurs. Mais on sait aussi qu’il y a des causes environnementales et, le plus probable, est qu’une association de ces causes est responsable de la pathologie. On peut donc identifier une cause génétique avec un faible effet qui, associée à une cause environnementale comme la consommation de cannabis, va précipiter l’entrée dans la maladie.
Et quelles sont les causes environnementales, outre le cannabis ?
C’est encore à l’étude et je ne pourrais là encore vous répondre avec certitude mais on étudie actuellement l’exposition aux pesticides, à la pollution, les virus durant la grossesse… Divers éléments, individuellement peu significatifs, pourraient collectivement être à l’origine de l’affection lorsqu’ils s’additionnent.
Peut-il s’agir d’un événement déclencheur, court et brutal ?
On sait que l’entrée dans la maladie peut effectivement être précipitée par ce qu’on appelle un facteur déclenchant ; un traumatisme, une prise de drogue… Mais cela survient sur un terrain de vulnérabilité – génétique, exposition aux autres facteurs environnementaux…
Existe-t-il des facteurs protecteurs ?
Il existe effectivement des facteurs protecteurs, par exemple, le fait de ne pas consommer de drogues sur un terrain déjà vulnérable. Une bonne hygiène de sommeil et une bonne hygiène de vie constituent des facteurs de risque en moins. Si on manque de sommeil, on est effectivement plus à risque de faire un épisode.
Peut-on guérir de la schizophrénie ?
Aujourd’hui, le traitement de la maladie est un traitement médicamenteux au long cours qui permet de faire disparaître les symptômes, mais on ne guérit pas. L’objectif est de traiter la maladie en jouant sur les facteurs de protection et les facteurs de risque. À l’avenir, si on identifie un facteur génétique dont on sait qu’il est lourdement impliqué dans le développement de la maladie, on pourrait faire ce qu’on a déjà réalisé dans d’autres disciplines comme la cancérologie, soit de la thérapie génique. Cela consiste à réparer la mutation génétique pour prévenir l’apparition de la maladie. Nous n’y sommes pas, mais nous y travaillons.
L’objectif est donc d’anticiper la survenue de la maladie ?
Oui, c’est ça, agir avant même l’apparition des symptômes. Aujourd’hui déjà, on travaille au prodrome de la maladie, c’est-à-dire au tout début des symptômes, quand on ne parle pas encore de schizophrénie mais qu’il y a un risque d’évolution vers la maladie. Le but est alors d’éviter que la maladie ne s’installe.
“Le mot schizophrénie fait peur, même parmi les médecins”
L’évolution vers la schizophrénie n’est alors pas inéluctable ?
Tout à fait. C’est le travail qui est mené dans les centres d’action précoce où sont accueillis des jeunes de 15 à 25 ans, l’âge d’apparition moyen de la maladie. Ils sont pris en charge après un premier épisode psychotique, sans les autres symptômes que j’ai déjà cités (symptômes négatifs, désorganisations et répercussions fonctionnelles, ndlr). Souvent on observe aussi des difficultés cognitives comme des problèmes de mémoire et de concentration. On ne parle pas encore de schizophrénie mais un tiers de ces premiers épisodes peuvent évoluer vers la maladie donc il faut agir immédiatement.
Comment ?
On peut suivre ces jeunes patients et agir sur le pronostic. On dispose de traitements médicamenteux mais aussi d’outils pour éviter l’apparition de symptômes plus lourds et les hospitalisations qui vont avec. En résumé, on peut préserver leur qualité de vie et permettre une bonne insertion sociale.
La schizophrénie est une maladie psychiatrique encore largement stigmatisée. Cela peut retarder la prise en charge ?
Oui, tout à fait. Le mot schizophrénie fait peur, même parmi les médecins. On a tendance à ne pas l’évoquer, ne pas le diagnostiquer ce qui empêche de faire de la psychoéducation aux patients mais aussi aux familles. Alors que comprendre sa maladie, les causes, ses traitements est un outil de très bon pronostic.
Une dernière question. On présente la psychiatrie de précision comme l’avenir de la psychiatrie, de quoi parle-t-on ?
C’est ce dont je parlais avec la thérapie génique. Il s’agit d’identifier la cause sous-jacente de la schizophrénie, au cas par cas. Une mutation génétique chez un patient, on traite le gène altéré. Un réseau de neurones altérés, on fait de la neurostimulation sur ce réseau pour ce patient. Il s’agit de traiter, la cause qui fait que ce patient particulier a développé la maladie. Il faut mettre en œuvre une imagerie extrêmement précise. Les causes étant tellement variées, il s’agit aussi de mobiliser divers domaines de la neuroscience, la génétique, l’immunologie… C’est l’avenir de la prise en charge psychiatrique. On n’y est pas encore, mais on s’en rapproche.
Source : Interview de Mylène Moyal, psychiatre au GHU (groupe hospitalo-universitaire) Paris psychiatrie et neurosciences
Ecrit par : Dorothée Duchemin – Edité par Emmanuel Ducreuzet