Sensibilité aux radiofréquences : vers un dialogue de sourds ?

27 mars 2012

Alors qu’elle n’est dans aucun pays, reconnue comme une pathologie sur le plan scientifique, l’électrohypersensibilité (EHS) fait actuellement et pour la première fois, l’objet d’une étude digne de ce nom. Cette dernière, qui « vise à évaluer l’efficacité d’une prise en charge médicale individualisée des personnes électrohypersensibles », a été présentée le 14 février dernier. Alors que les victimes de ce phénomène déplorent, dans le monde entier, l’état de négligence dans lequel elles estiment se trouver, on aurait pu penser que cette initiative allait être favorablement accueillie. Eh bien pas du tout… Nombre d’associations s’insurgent et demandent que soient reconnus les effets délétères d’une exposition aux radiofréquences. Pour l’Académie nationale de Médecine, une mise au point s’impose. Elle prend la forme d’une mise en garde contre manipulations et dérives sectaires.

Questions de points de vue

D’un strict point de vue scientifique, l’Académie rappelle que « plus de 40 études en double aveugle ont montré que les personnes (…) électrohypersensibles ne ressentent pas plus de troubles en présence qu’en l’absence de radiofréquences ». En clair, il n’existe aucune preuve scientifique objective que les ondes électromagnétiques soient impliquées dans l’EHS. « Nous disposons d’un ensemble de données et de conclusions d’expertises collectives solides, permettant de rattacher l’électrohypersensibilité à une origine psychologique » souligne l’Académie. Ce qui ne signifie aucunement bien sûr, que celle-ci n’existe pas.

Se plaçant sous le point de vue médical, les académiciens nient cependant que tout cela ‘se passe dans la tête’, pour reprendre une expression populaire. Bien au contraire, ils soulignent que « l’angoisse ou la somatisation en présence d’émetteurs de champs électromagnétiques peuvent être telles, qu’elles se traduisent par des troubles bien réels(…). Une prise en charge adaptée est donc nécessaire. » Réitérant ses avis précédents, l’Académie souligne cependant les dangers auxquels ces patients peuvent se trouver exposés. Car « ces troubles, pouvant entraîner de graves handicaps sociaux, (sont parfois) utilisés à des fins contestables au détriment des intéressés ».

De quelle prise en charge en effet, pourraient bénéficier des patients que leurs « de troubles bien réels (sont) susceptibles de (les) conduire à quitter leur emploi. Voire à changer leur mode de vie jusqu’à se réfugier dans des grottes. »

D’un point de vue social et humain, ces errements sont porteurs de risques. Ce déni souligne l’Académie, est « une attitude courante chez les malades psychosomatiques. Ce sont souvent des personnes fragiles, fréquemment soignées antérieurement pour des troubles psychiques (et) qui semblent conditionnées par le rejet des ondes. » Or « plus on les pousse à militer pour la suppression des émissions électromagnétiques en demandant des ‘zones blanches’, plus on les éloigne des circuits thérapeutiques dont elles pourraient bénéficier. Les persuader sans la moindre preuve qu’elles risquent de développer à terme des cancers, des tumeurs au cerveau, ou de développer la maladie d’Alzheimer, ne peut que décupler leur angoisse et aggraver leur maladie. »

Rappelons que l’étude pilotée par le Pr Dominique Choudat (CHU Cochin-Broca-Hôtel-Dieu de Paris) vise précisément, à caractériser les troubles liés à l’EHS. Pendant 44 mois et à partir de 24 centres hospitaliers, elle apportera (enfin) une prise en charge individuelle à ces patients et un accompagnement pendant au moins 14 mois pour chacun. Et ce travail, qui évaluera chaque patient selon un protocole « avant-après » sa prise en charge, devrait enfin apporter des réponses étayées à des questions qui relèvent plus aujourd’hui, du registre passionnel.

  • Source : Académie nationale de Médecine, 27 mars 2012

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