Vers la fin des Bébés-bulles ?
14 avril 2014
Alain Fischer, Unité Inserm 768, “Développement normal et pathologique du système immunitaire”, Département de Biothérapies et Unité d’Immunologie et d’Hématologie pédiatrique, Hôpital Necker Enfants Malades AP-HP, Université Paris Descartes, Paris. ©AP-HP, Julian Renard
Ne lui parlez plus de Bébé-bulle ! Alain Fischer, professeur au Collège de France et directeur de l’Institut des maladies génétiques (Imagine), est avec Marina Cavazzana et Salima Hacein-Bey Abina« le père » de la thérapie génique mise au point pour prendre en charge les nourrissons atteints du Déficit Immunitaire Combiné Sévère (DICS). « Le concept de Bébé-bulle a été inventé par les médias pour décrire le fait que pendant la phase de traitement, les enfants sont placés dans une enceinte stérile recouverte d’une enveloppe plastique transparente qui donne l’image d’une bulle. Cette notion est très réductrice et va disparaître. Progressivement, ces enceintes sont remplacées par des chambres à pression positive. » Pour le Pr Fischer, il est bien plus intéressant et pertinent d’aborder les différentes formes de DICS. Et surtout les deux manières de les traiter. Explications
« Les DICS sont un ensemble de maladies rares, très rares. Chaque année, en France, une quinzaine de nourrissons sont frappés», explique le Pr Fischer. Ces petits patients présentent en réalité une déficience au niveau du système immunitaire. « Pour des raisons génétiques, leurs lymphocytes T sont absents, leur production est totalement bloquée. Or ces derniers sont extrêmement importants pour combattre les bactéries, les virus, les champignons. Ces enfants se retrouvent donc dans l’incapacité de se défendre contre ces infections, si bien qu’en l’absence de thérapeutique, leur espérance de vie est limitée à quelques mois.»
Greffe de moelle osseuse
Jusque dans les années 2000, le seul espoir pour sauver ces patients reposait sur la greffe de moelle osseuse. « Le problème », souligne le Pr Fischer, « c’est que donneur et receveur doivent être compatibles. Notamment au niveau des systèmes principaux d’histocompatibilité, système HLA chez l’homme ». Au total, seuls 20% des petits malades sont en mesure de recevoir des greffes de moelle osseuse parfaitement compatibles.
« Cette technique existe depuis 46 ans. La moelle osseuse est l’endroit où sont fabriquées toutes les cellules sanguines dont les globules blancs et les précurseurs des lymphocytes T. Une fois que les cellules sont greffées, elles sont capables de générer les globules blancs manquant et de corriger le déficit immunitaire. Cette procédure fonctionne bien si le donneur et le receveur sont compatibles. Plus la compatibilité est bonne, plus le risque de complications est faible », explique le Pr Fischer. Lequel précise tout de même que pour les 80% de patients chez lesquels la compatibilité donneur/receveur n’est pas totale, ce n’est pas une situation sans issue, mais les risques d’échec et donc de rejet sont assez importants ».
La nouvelle donne de la thérapie génique
L’autre technique consiste à utiliser les cellules de l’enfant lui-même. Ce que les spécialistes appellent une autogreffe. « Nous prélevons des cellules précurseurs de la lignée défectueuse et les infectons avec un virus sain, puis apportons une copie normale du gène. Ensuite, nous réinjectons par voie sanguine les cellules modifiées. C’est la thérapie génique ».
Cette approche a été développée par le Pr Fischer et son équipe à partir de 1993. En avril 2000, le premier essai a été couronné de succès. « Nous sommes encore dans le cadre d’essais cliniques. Mais les résultats sont très satisfaisants. Environ 75 malades ont été traités de cette façon dans le monde. Une immense majorité vit toujours et en bonne santé ». A noter toutefois que quatre patients au cours du premier essai ont développé une leucémie.
Cette complication semble aujourd’hui maîtrisée par une modification des vecteurs viraux utilisés.
« Notre impression, même si le recul n’est pas suffisant est que la thérapie génique est plus efficace. Avantage : elle évite le risque de conflit immunologique entre le donneur et le receveur inhérent à la greffe de moelle osseuse. Mais il faut être prudent car ce sont des thérapeutiques de développement encore très récentes ».
Enfin comme l’indique le Pr Fischer, « lorsqu’un protocole d’essai est en cours, la thérapie génique peut être proposée aux familles d’enfants chez lesquels on ne trouve pas de donneur compatible et qui répondent aux critères du traitement ».
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Source : Interview du Pr Alain Fischer, 7 avril 2014
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Ecrit par : Emmanuel Ducreuzet – Edité par : David Picot