Vos petits confinés dépriment ? « Normal »
15 avril 2020
Ils sont bouclés à la maison depuis la fermeture des écoles le 16 mars dernier. D'abord ravis de ce qui s'apparentait à des vacances surprise, certains enfants et adolescents commencent à déchanter, voire à manifester quelques signes de déprime. Pour Aline Nativel Id Hammou, psychologue clinicienne, spécialiste de l’enfance, de l’adolescence et de la famille, c'est plutôt bon signe.
Destination Santé : La « déprime » commence à gagner certains enfants et adolescents, après 4 semaines de confinement. Le terme vous semble-t-il approprié ?
Aline Nativel Id Hammou : Il traduit en tout cas un état réactionnel face à une situation inédite. Cela marque que l’enfant comprend ce qui se joue – il ne peut plus voir ses copains, aller à l’école, faire du sport… – et lui fait prendre conscience du manque de ce qu’il aimait bien. Il ressent un vide affectif parce qu’il est « cloisonné » dans une sphère familiale réduite, avec ses parents et sa fratrie. C’est une humeur réactionnelle normale et légitime, et c’est le signe que l’enfant vit la situation, qui n’est pas simple, de façon adaptée. C’est un bon signe de santé mentale.
Destination Santé : Quels signes doivent néanmoins alerter ?
Aline Nativel Id Hammou : Il faut être vigilant face à l’enfant ou l’adolescent qui refuse toute sollicitation, les propositions de coloriage, de dessin, de cuisine… et qui s’enferme dans les nouvelles technologies, qui ne se met en action que pour regarder des dessins animés ou jouer aux jeux vidéos. Cela se traduit physiquement : il aura du mal à se lever et voudra le plus souvent rester allongé ou semi-allongé. Il sera enfin dans une thymie de tristesse : cet état se verra sur son visage, il refusera toute communication. Encore une fois, cette humeur est normale. Mais si l’état persiste au-delà d’une vingtaine de jours, on peut envisager de consulter le thérapeute de l’enfant s’il est déjà suivi, ou contacter son médecin traitant. Il donnera son avis et vous orientera.
Destination Santé : Comment répondre à cette humeur de façon adaptée ?
Aline Nativel Id Hammou : En tant qu’adulte, il ne faut surtout pas cacher sa peur ou ses angoisses. Mieux vaut aussi éviter de dire « ne t’inquiète pas, ça va aller… », ce qui reviendrait à mettre un couvercle sur ses émotions. Le risque, c’est que l’enfant ne dise plus rien. Au contraire, il faut parler de ses propres émotions, dans un « phénomène miroir » : « moi aussi, je suis triste, j’aimerais bien voir Mamie, mes amis, aller à la salle de gym… ». En forçant le trait et en marquant le fait qu’on est triste, l’enfant verra ses propres émotions reconnues et validées. Et si ces émotions ont besoin de sortir de manière un peu vive, on peut instaurer des temps spécifiques. Une à deux fois par semaine, on se donne droit à une heure « caca boudin », une heure de craquage où on frappe dans des coussins, où on se dit les choses, on lâche tout… Les émotions doivent sortir, et l’adulte les accepter.
Destination Santé : Faut-il évoquer avec eux la fin du confinement ?
Aline Nativel Id Hammou : Je suis assez mitigée sur ce sujet. Le plus prudent est de faire porter la responsabilité au président de la République, dont les décisions s’imposent à tous, et de parler au conditionnel. Dire simplement : « c’est possible qu’à telle date… ». Il faut faire très attention à ce qu’on dit, parce qu’on expose l’enfant à une « déception renforcée » si on a été trop affirmatif, on s’expose à de nouvelles questions en cascade sur la reprise du foot, l’invitation à la boum, à l’anniversaire, les grandes vacances… Ce qu’on risque ici, c’est un tsunami émotionnel avec une combinaison d’émotions qui débordent : déception, trahison, frustration, dégoût, et surtout colère. Cela peut mener, dans certains cas, jusqu’à des troubles du comportement. Mieux vaut rester évasif sur la fin du confinement, et dire qu’on avance au fur et à mesure des jours, qu’on va y arriver, tous ensemble. En expliquant par exemple qu’en observant les gestes barrière, il se protège lui et donc les autres. Cela permet de développer la conscience morale et l’empathie.
Destination Santé : Que restera-t-il de cette période dans la mémoire des plus jeunes ?
Aline Nativel Id Hammou : Des études montrent des syndromes de stress post-traumatique, des psycho-trauma, mais cela concerne surtout les adultes. Les enfants, eux, reprendront très rapidement vie. Ils se créeront une histoire plus tard et n’en retiendront que du positif. Surtout si, pendant le confinement, on les a fait vivre comme des héros du quotidien : quand on applaudit, quand on appelle Mamie en visio, quand on se lave bien les mains… Il faut valoriser tout cela. Après, ils passeront plus facilement à autre chose. Sur le plan mental, je suis plus inquiète pour les adultes que pour les enfants. Eux, ils vivent l’instant présent, et ils s’adaptent.
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Source : Interview d'Aline Nativel Id Hammou, psychologue clinicienne, spécialiste de l’enfance, de l’adolescence et de la famille, le 14 avril 2020
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Ecrit par : Charlotte David - Edité par : Emmanuel Ducreuzet