Addiction à l’alcool : une patiente devenue experte livre ses conseils pour s’en sortir
15 janvier 2024
Au quinzième jour du Défi de janvier, initiative visant à encourager les Français à s'abstenir de consommer de l'alcool tout au long du mois, Sandra Pinel, auteure du livre "Journal d'une polyaddict libérée" et patiente experte en addictologie, partage avec Destination Santé ce que chacun devrait connaître pour se libérer d’une éventuelle addiction à l'alcool, ou aider un proche.
Quelle est votre histoire personnelle avec l’alcool ?
J’ai débuté ma vie avec la consommation excessive d’alcool de mon père. Je n’ai pas réussi à le sauver malgré mes efforts et, à sa disparition, j’ai sombré dans l’addiction, au cannabis d’abord, aux drogues de synthèse puis à l’alcool. Ce qui m’a permis de reprendre le contrôle ? A 42 ans, on m’a diagnostiqué des lésions au niveau de l’estomac et de l’œsophage. Un groupe d’entraide m’a soutenu et j’ai fréquenté un centre d’addictologie, ce qui a marqué le début de mon rétablissement. Un terme plus approprié que guérison. Puis j’ai saisi l’opportunité de suivre des formations, j’avais soif d’apprendre et de comprendre les raisons de mes comportements addictifs. J’ai passé un diplôme universitaire d’addictologie, réorienté ma carrière d’infirmière vers ce domaine, puis obtenu la certification des patients experts addictions.
Qu’est-ce qu’une patiente experte peut apporter aux personnes ayant des troubles de la consommation de l’alcool ?
En tant que patients experts, nous offrons un regard sur notre parcours, en mettant en avant ce qui est important et pertinent pour la personne en face de nous. De nos expériences avec la maladie, nous donnons des éléments qu’elle pourra utiliser, apportons des outils dans lesquels elle pourra puiser. Ce qui différencie un patient expert, c’est cette capacité à expliquer les mécanismes de l’addiction, à connaître les traitements médicamenteux et non médicamenteux, et à partager des outils concrets.
Quelles sont les erreurs les plus courantes lorsqu’on essaie d’aider une personne addict à l’alcool ?
Certaines personnes pensent que c’est une question de volonté, mais en réalité, l’addiction agit au niveau du cerveau, altérant les mécanismes du plaisir et créant une mémoire de l’addiction. L’addiction est une maladie complexe avec des facteurs biologiques, psychologiques et sociaux.
Parmi les erreurs les plus courantes : la critique, le jugement et la stigmatisation, ce qui peut renforcer le cycle de la honte et de la culpabilité. On se trompe aussi lorsque l’on veut “forcer le changement”. En effet, pousser la personne à changer sans qu’elle ne soit prête peut être inefficace. De plus, la personne doit être disposée à accepter de l’aide : on ne sauve pas quelqu’un contre son gré.
Minimiser ou nier le problème, est une autre erreur courante car ignorer l’ampleur de l’addiction et minimiser ses conséquences peut retarder la recherche d’aide. Enfin, s’appuyer uniquement sur des conseils non professionnels peut être insuffisant. Il faut encourager la personne à rechercher un soutien professionnel.
Que peut faire un proche pour aider une personne dépendante à l’alcool ?
Il peut, par certaines actions, encourager le changement, par exemple en exprimant ses émotions, en utilisant le “je” (“Je me sens triste de te voir boire tous les soirs à la maison, ça me fait mal au cœur”) et en expliquant comment la consommation de la personne affecte sa propre souffrance. Cela peut aider à sensibiliser l’intéressé aux conséquences de son comportement. De manière générale, utiliser le “je” plutôt que le “tu” évite les accusations directes à l’origine d’une réaction défensive.
Le proche peut aussi poser des limites (“Je n’achèterai plus d’alcool. Si tu veux boire, tu devras l’acheter toi-même”) et “ne pas faire pour/à la place de”. Si, par exemple, une femme appelle pour prévenir que son mari ne pourra pas se rendre au travail, cela déresponsabilise ce dernier et l’empêche de se rendre compte des conséquences de ses consommations sur sa vie. L’utilisation de mots bienveillants peut aussi parfois résonner plus tard dans l’esprit de la personne confrontée à l’addiction, contribuant à sa prise de conscience.
Quelles sont les erreurs commises par une personne dépendante à l’alcool dans son chemin vers le sevrage ?
La complaisance vis-à-vis de la dépendance est une erreur fréquente. Croire que l’on peut se permettre une petite consommation après un moment d’arrêt ou de réduction est une forme de rationalisation qui peut conduire à une rechute. La “mémoire de l’addiction” nécessite une vigilance constante, même après une période de sevrage réussie.
Une autre erreur peut être de minimiser l’importance du suivi professionnel ou du soutien social continu après le début du sevrage. Un accompagnement professionnel, des groupes de soutien (le Défi de janvier, le groupe Facebook créé en collaboration avec France Patients-Experts Addictions…) et le maintien de liens sociaux positifs sont essentiels pour consolider les progrès et prévenir les rechutes.
Quels sont les mots-clés dans la lutte contre l’addiction à l’alcool ?
L’acceptation de l’aide est une étape cruciale dans le processus pour se libérer d’une conduite addictive. Cela peut être un défi, car cela implique de reconnaître sa vulnérabilité et de laisser d’autres personnes intervenir dans le processus de rétablissement. Il y a parfois une résistance initiale à chercher de l’aide, souvent motivée par des idées préconçues, de la méfiance envers les soins, ou simplement par la volonté de s’en sortir seul. Le processus de deuil est également très important. Renoncer à une conduite addictive implique souvent de laisser derrière soi une partie de son identité liée à cette dépendance. C’est un ajustement profond qui nécessite du temps, du soutien.
Liens utiles :
Le forum Addict’AIDE
Le groupe Facebook d’entraide, toutes addictions : « addictions et alcool : ensemble on est plus forts »
Le groupe Facebook d’entraide du défi de janvier
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Source : Interview de Sandra Pinel, auteure du livre « Journal d’une polyaddict libérée », éditions Eyrolles (octobre 2023)
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Ecrit par : Hélène Joubert - édité par Emmanuel Ducreuzet