Addictions : réaliser, parler, s’en sortir
03 novembre 2014
La prise en charge pluridisciplinaire ouvre de nouveaux horizons pour aider les jeunes à sortir de l’addiction. ©Phovoir
Diminuer sa consommation de drogues ? Beaucoup de jeunes essaient… et y parviennent. A quel point avouer sa dépendance peut-il libérer de l’emprise ? Comment éviter les tentations ? Les éclairages du Dr Vincent Dodin, psychiatre et chef de service de la clinique médico-psychologique du Groupement des Hôpitaux de l’Université Catholique de Lille (GHICL).
Accros à l’alcool, au tabac, au cannabis – parfois même à d’autres drogues dures – certains jeunes refusent de parler de leur addiction pendant longtemps, parfois plusieurs années.
En consultation, quel est votre mot-clé pour intervenir auprès de jeunes sujets à l’addiction ?
Vincent Dodin : L’écoute. Avant qu’il parvienne à verbaliser son addiction voire son mal-être, le jeune a besoin d’être écouté. Il a en tête « l’illusion de bien-être que lui procure la substance. Le cheminement est long avant d’envisager une vie sans drogue. Ecouter le jeune permet de déceler d’éventuels problèmes sous-jacents, à l’origine de sa conduite addictive. Parler est en effet la première des étapes à suivre pour se sentir moins seul face à l’addiction. D’autant que les accompagnements aujourd’hui proposés vont au-delà du discours « Tu dois arrêter. La drogue est interdite, toxique, malsaine ».
Comment alors aider un ado à se sortir de la « spirale infernale » de la drogue ?
V.D : A tout âge, et particulièrement à l’adolescence, avouer un mal-être ou toute forme de problème lié la drogue, est un processus complexe. Dans le cabinet d’un addictologue ou en Consultations Jeunes Consommateurs, l’idée première est donc de l’aider à comprendre pourquoi il consomme. Les questions sont axées sur une logique de réduction des risques (RdR) : quand a-t-il commencé ? Y-a-t-il eu des éléments déclencheurs ? Ensuite, il s’agit d’évaluer avec lui l’impact qu’il ressent sur sa santé, physique et morale. Se sent-t-il épanoui socialement ? A-t-il de l’énergie, des envies, des projets ? Une fois que le jeune est au clair avec ces questions, on va l’aider à espacer ses prises, lui proposer des activités pour pallier le manque.
Quel rôle ont les parents dans cette démarche ?
V.D : Tout dépend, certains parents s’inquiètent très vite et amplifient la situation en assimilant directement une consommation récréative à la toxicomanie. Dans ce cas, il faudra relativiser le risque, leur expliquer qu’avoir du cannabis sur soi n’est pas obligatoirement la preuve d’une addiction. Mais justifie d’avoir une discussion avec son ado et d’être vigilant pour s’assurer de la maîtrise de sa consommation.
A l’inverse, certains parents restent – souvent malgré eux – dans le déni et préfèrent ne rien voir du malaise de leur ado. Dans la mesure où le jeune a la volonté de partager son histoire avec ses parents, il faudra leur expliquer comment ils peuvent l’aider : être présent à ses côtés sans être invasif, lui apporter de la reconnaissance, surtout ne pas s’acharner sur le poids du passé et de la culpabilité.
Sur quel accompagnement médico-social un jeune peut-il compter ?
V.D : Le chemin pour sortir de l’addiction nécessite souvent un suivi psychothérapeutique régulier, accompagné ou non selon le degré de dépendance, d’une prise en charge médicamenteuse (anxiolytiques, produits de substitution en cas de grande dépendance). Pour se libérer de l’addiction, la prise en charge – la plus précoce possible – doit par ailleurs prendre en compte l’épanouissement social. Les personnes dépendantes ressentent en effet un besoin fréquent de s’isoler. Certains peinent à partager, à recevoir des autres, un facteur pourtant essentiel pour retrouver le plaisir de l’échange.
Dans le cas d’un arrêt de la consommation, à partir de quel moment peut-on parler d’abstinence totale ?
V.D : Une fois que la consommation ralentit, ou s’arrête, tout doit être fait pour anticiper le risque de rechute. La période de post-sevrage peut en effet s’accompagner de reprises de la consommation. Lesquelles surviennent souvent lorsque le jeune se sent confiant, lorsqu’il s’y attend le moins. Pour autant succomber à la tentation ne doit pas être vécu comme un échec, mais plutôt comme un accident de parcours à surmonter.
Ces épisodes doivent permettre à l’adolescent de comprendre quelle situation l’a amené à consommer. Un effort d’autant plus précieux qu’il s’agit de ne pas se rabattre sur une autre drogue, ou un autre comportement addictif. L’adolescence est la période charnière de la vie où les fluctuations émotionnelles, les envies et influences sont très fortes. Malgré l’accoutumance voire l’emprise imposée par la drogue pendant des mois voire des années, les remises en question et « redémarrages » sont possibles.
A lire : Guérir les addictions chez les jeunes, Vincent Dodin – DDB édition, sortie le 20 mai 2014. 16,90€.
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Source : Interview du Dr Vincent Dodin, le 15 mai 2014.
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Ecrit par : Laura Bourgault - Edité par : Emmanuel Ducreuzet