Un décès constaté, une vie en suspens… du prélèvement à la greffe, les équipes médicales restent sur le qui-vive 24 heures sur 24. Montre en main et sans relâche, le personnel se relaie, se concentre, se dépêche. Du médical au paramédical, tous misent sur la sécurité et la rapidité. Une rigueur mise en place pour que les organes et tissus – prélevables et compatibles – arrivent à destination dans les délais impartis. Reportage au CHU de Nantes.
Aucun prélèvement n’avait été effectué depuis une dizaine de jours au CHU de Nantes. Mais ce mardi matin du mois de juin, le téléphone a sonné : « nous avons un donneur ». A l’heure où les réveils sonnent, l’unité de prélèvement d’organes et de tissus est dans les starting-blocks.
Direction le bloc opératoire
Dans le dédale des couloirs et portes battantes, les brancards, blouses bleues et ascenseurs vont et viennent. Anthony Cailleton, infirmier coordonateur, se dirige vers le bloc opératoire. « Le donneur est un homme âgé de 51 ans, décédé d’un AVC hémorragique la veille au soir à 18h32. Il s’agit d’un prélèvement du cœur, des poumons, des reins, du foie et du pancréas ». Derrière la porte coulissante, l’intervention a déjà commencé.
En salle, un externe, deux infirmiers, un anesthésiste. Et le chirurgien urologue, chargé comme à chaque prélèvement d’ouvrir la marche. Ce dernier a effectué la première incision à 7h23. Le chirurgien urologue sera le dernier à prélever les organes qui l’intéressent : les reins, dont la durée d’ischémie (temps de conservation une fois la vascularisation interrompue) est la plus longue. Le prélèvement peut commencer, priorité au cœur et aux poumons, les organes nobles dont la durée de conservation est la plus courte comparée aux autres organes.
« Sérum fi en perfusion », entend-on sous le masque du chirurgien, voix feutré, regard concentré. « Cette infiltration va permettre de laver le sang », précise Claire, jeune infirmière, en préparant les poches transparentes remplies de sérum. De son côté, Anthony Cailleton étiquette les tubes à essai. « Nous envoyons des prélèvements de rate et de ganglions au laboratoire pour effectuer des tests de compatibilité avec les potentiels receveurs ». Au centre de la pièce, la cadence se maintient. Le chirurgien répartit de la glace dans l’abdomen du donneur, indispensable à la diminution de la température des organes. Des petites boules de cire sont ensuite réparties dans les vaisseaux sanguins pour limiter le risque d’hémorragie.
Dans la valse des chirurgiens
La sonnerie du bipper rompt alors le silence. « L’équipe de Paris décolle pour venir prélever le cœur et les poumons », prévient Anthony Cailleton. Deux heures d’avion, atterrissage à 8h30, 20 minutes de taxi et le duo de chirurgiens franchit la porte coulissante du bloc à 9h03. Grâce à l’aide méticuleuse des collègues, ils enfilent sans tarder blouses, gants puis charlottes. Et évoluent dans cet environnement aseptisé comme s’ils connaissaient déjà les lieux. Les chirurgiens préleveurs ne connaissent pas le CHU et n’ont encore jamais rencontré le personnel de l’équipe nantaise. Mais tout se passe comme si le fil du prélèvement assurait une connexion entre chacun des professionnels.
Deux ou trois blagues viennent détendre l’atmosphère. Les chirurgiens de Paris se préparent pour prélever cœur et poumons. La cage thoracique est ouverte, les côtés levées et le cœur battant apparaît. Un cœur qui bat sur un patient décédé… ? Tout s’explique. A cause de l’hémorragie cérébrale à l’origine du décès, le cerveau ne fonctionne plus. Mais la circulation sanguine, la respiration et le rythme cardiaque sont maintenus artificiellement pour prolonger l’oxygénation des organes. Et donc assurer la meilleure des conservations possibles.
« Il est 10h01, prêt pour le clampage », communique le chirurgien par téléphone aux greffeurs de Paris. En effet, à chaque transplantation, l’équipe qui prélève diffère des chirurgiens greffeurs. Et à l’heure où le cœur est prélevé, le receveur vient d’être anesthésié, à plus de 300 km de son donneur. « Le cœur entier sera prélevé. Mais l’organe n’est pas suffisamment en bon état », explique Anthony Cailleton ». Seules les valves cardiaques (tissus) pourront donc être greffées ». Conservables pendant 5 ans, elles seront envoyées dans une banque de tissus à Bruxelles. « Gros fumeur, le patient décédé souffrait d’une cardiopathie ischémique, d’hypertension, d’hypercholestérolémie ». Un profil cardiaque suscitant la vigilance des chirurgiens.
Entre réflexes et minutie
L’ambiance est calme, la précision des gestes infaillible. Le degré de concentration palpable. Mais en quelques secondes, la situation prend une toute autre tournure. Les bips des machines se déclenchent, les voix se font plus sonores, la main gantée du chirurgien vient alors masser le cœur. « Arrêt cardiaque, la réanimation est indispensable : si l’irrigation s’arrête, l’oxygène transporté par le sang ne parvient plus jusqu’au cœur et aux organes, on risque de tout perdre ». En quelques minutes, le massage cardiaque à même le cœur fait son effet : la pression sanguine repart. Rapidement, le cœur est extrait et placé dans une poche plastique. « Idem pour les poumons. Gonflés d’air avant l’extraction, ils sont tachetés par la pollution et le tabac. Le greffon ne semble pas être de la plus haute qualité, mais le chirurgien cardiaque « ne voit aucune contre-indication pour la greffe tant le pronostic vital du receveur en attente est engagé ». Ni une ni deux, les organes sont logés dans la glacière homologuée et conservés à une température de 4°C. A 10h23, l’équipe de Paris repart prendre l’avion. Un aller-retour facturé 8 000 euros.
Du donneur au receveur, un travail de fourmi
Après le cœur et les poumons viennent le prélèvement du foie, du pancréas et des reins. Indispensable pour préserver la qualité des greffons, un liquide de conservation, froid, s’écoule progressivement par la perfusion. Les bassines à glaces pilées sont prêtes pour recevoir ces organes. Immédiatement après le prélèvement, ils seront perfusés dans des boîtes transparentes dites cassettes. « Le foie et l’un des reins vont être greffés sur un patient hospitalisé à Tours, le deuxième rein restera au CHU de Nantes et le pancréas réservé à la science », explique Anthony Cailleton. Conservée dans la glacière dédiée, certains des organes comme les reins voyagent seuls, le plus souvent acheminés en ambulances, en train ou en avion.
Parfois les vaisseaux sanguins sont aussi prélevés, « aujourd’hui ce n’est pas le cas, les vaisseaux du patients sont trop endommagés ». Nous sommes maintenant en début d’après-midi, la fin de l’intervention approche. Dernière étape, le prélèvement de la cornée, effectué par un interne en ophtalmologie ou un infirmier spécialisé selon les disponibilités. Ce tissu se conserve 30 jours et sera envoyé dans la même banque bruxelloise que les valves cardiaques. A l’heure où la cage thoracique du donneur est refermée, le bloc opératoire ne compte alors plus que le personnel paramédical qui se consacre alors aux dernières intentions avant le transfert du corps aux soins funéraires. A Tours et à Paris, chacun des chirurgiens a rejoint son bloc, lancé dans la course à la greffe. La course à la vie.
Source : Reportage au CHU de Nantes, centre coordination hospitalière des prélèvements d’organes et de tissus, juin 2016
Ecrit par : Laura Bourgault - Edité par : Emmanuel Ducreuzet
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