Claude Bernard, le génie à la française
07 octobre 2013
La Leçon de Claude Bernard (1889) par Léon Lhermitte. ©Académie nationale de Médecine
Père de la médecine moderne, de la recherche clinique, de l’expérimentation animale… Claude Bernard, dont on fête le bicentenaire de la naissance cette année, appartient sans conteste à la catégorie des scientifiques universels. De ces chercheurs qui bouleversent la vision du monde. A l’image de Galilée et de Newton, Claude Bernard a su s’affranchir des obscurantismes de son époque et développer sa théorie de la méthode expérimentale. Entretien avec René Mornex, membre de l’Académie nationale de Médecine, professeur émérite de l’Université de Lyon. Demain mardi 8 octobre, un hommage sera rendu à l’ensemble de l’œuvre de Claude Bernard par l’Académie nationale de Médecine. Sous la présidence justement, de René Mornex.
Claude Bernard est né le 12 juillet 1813 dans le Beaujolais. Elève apparemment peu brillant mais doté d’une curiosité hors du commun, il obtient en 1843 son diplôme de médecine. « Avant l’arrivée de Claude Bernard, les scientifiques menaient des expériences, mais sans s’appuyer sur des règles précises », explique le Pr Mornex. « La grande force de Claude Bernard a été d’introduire ce que beaucoup suspectaient : la biologie, comme les autres sciences obéit à des règles qui exigent d’être respectées. Et pour cela, il n’y a qu’une méthode, l’expérience. C’est-à-dire produire des conditions différentes et maîtrisables, permettant d’bserver les réactions des constituants de l’organisme. »
La méthode expérimentale au centre d’une révolution médicale
« On fait une observation ou une expérience. Mais une fois l’observation ou l’expérience réalisée, on raisonne. C’est alors que toutes les explications peuvent arriver avec la couleur de l’esprit de chacun ». Cette citation de Claude Bernard résume parfaitement sa méthode. Prenant appui sur sa propre expérience, il expose ses principes en 1865 dans l’Introduction à l’étude de la médecine expérimentale. Selon lui, tout raisonnement scientifique doit s’appuyer sur une succession de trois phases, comprenant l’observation d’un fait, l’émission d’une hypothèse et enfin l’expérience permettant de confirmer ou d’infirmer cette hypothèse.
Pour le Pr Mornex, le plus bel exemple de cette approche nous est donné par les travaux de Claude Bernard sur les poisons, et plus précisément sur le curare. « A l’époque, tout le monde savait que le curare était mortel. En revanche personne ne comprenait le pourquoi du comment. La méthode Claude Bernard qui consistait à prendre les étapes les unes après les autres, a permis de comprendre que tout se passait au niveau de la jonction neuromusculaire. Il a démontré que ce poison, bien connu des Indiens d’Amérique du Sud, empêche l’influx nerveux d’exciter les muscles, ce qui entraîne une paralysie totale. » Aujourd’hui le curare, bien utilisé, appartient à une famille de médicaments administrés dans le cadre d’anesthésies générales.
« Claude Bernard, c’est à la fois la naissance de la médecine moderne et de la recherche médicale. Il a établi les bases des études pharmacologiques, en comparant les résultats entre un groupe traité et un groupe non traité. A l’époque, ce concept était révolutionnaire ». Autre apport majeur, la continuité dans la recherche. « Selon lui, il n’y a pas de dissociation entre la clinique, l’expérience et la recherche globale. Il avait une formule essentielle que j’avais affichée dans mon service à la jonction des salles de malades et des pièces où travaillaient les chercheurs : la médecine ne finit pas à l’hôpital. En auscultant ses patients, un médecin doit expérimenter en fonction des faits, tirer une conclusion et appliquer en retour aux malades les résultats de ses conclusions. Cela part de l’hôpital, pour ensuite aller au laboratoire et enfin revenir dans l’établissement de soins. Les Américains ont très bien compris cela, ce qui explique pourquoi Claude Bernard est davantage respecté outre-Atlantique qu’en France. »
La France, deux siècles après la naissance de Claude Bernard, a peur d’être en retard
La recherche thérapeutique souffre dans l’Hexagone. « Elle est terriblement handicapée par un cadre réglementaire trop strict qui ne favorise pas les esprits curieux. Sans compter que le principe de précaution a été une catastrophe pour de nombreux cliniciens », souligne amèrement René Mornex. « Tout cela alourdit les dossiers au point que les grandes firmes se détournent de la France pour faire leur expérimentation pharmacologique ». L’idée même de la science, de progrès a perdu du terrain. « Comme l’affirmait le Pr Maurice Tubiana (ancien Président de l’académie nationale de Médecine et récemment disparu), la France a peur et cela se traduit par l’inscription dans la Constitution française, du principe de précaution. Bien sûr que nous avons besoin de précaution. Mais il n’y a aucune possibilité en médecine d’arriver à la vérité absolue, pure, indiscutable pour les traitements et leurs effets secondaires. Avec les règles actuelles, l’aspirine serait interdite ».
Une note d’espoir tout de même. Selon notre interlocuteur, l’expérimentation « à la Claude Bernard » perdure, notamment pour comprendre les mécanismes des maladies. Ce que l’on appelle l’étude de la physiopathologie. Et là en France, nous disposons de très belles équipes, en neurologie. Nous disposons également d’unités de recherche en nutrition qui sont à la pointe au niveau mondial. »
Ecrit par Emmanuel Ducreuzet – Edité par David Picot