Claude Bernard, le père de la « méthode expérimentale »

16 avril 2012

« On fait une observation ou une expérience. Mais une fois l’observation ou l’expérience faite, on raisonne. C’est alors que toutes les explications peuvent arriver avec la couleur de l’esprit de chacun ». Cette citation de Claude Bernard à elle seule, résume l’approche scientifique mise au point par son auteur : la méthode expérimentale. Basée sur l’observation, l’interprétation et l’expérimentation, elle fait du laboratoire un lieu privilégié de production des connaissances. Le Pr Pierre Corvol, administrateur du Collège de France et membre de l’Académie nationale de médecine, nous conte l’histoire de cet homme qui se destinait à une carrière… d’écrivain !

De l’échec littéraire…

«Claude Bernard est né en 1813 dans le Beaujolais » nous explique Pierre Corvol. «Ses débuts en fait, sont ceux d’un apprenti dramaturge. En quête d’un éditeur pour Arthur de Bretagne, le drame qu’il a écrit, il arrive à Paris son ouvrage sous bras. Et Dieu merci, ce sera un ‘flop’ complet. On lui conseille alors de changer de voie, plutôt que de se diriger vers une carrière dramatique ». Dramatique apparemment, dans tous les sens du terme….

Même s’il est un esprit curieux, le jeune homme n’est pas pour autant un élève brillant. Le baccalauréat en poche – à 21 ans ce qui ne traduit pas une précocité excessive – il s’oriente vers des études de médecine. Il suit l’enseignement de François Magendie, professeur de médecine au Collège de France. Claude Bernard obtient son diplôme à 30 ans, en 1843. Il enseigne dès lors au Collège de France, à la Sorbonne et au Museum national d’Histoire naturelle.

…à l’invention de la médecine moderne

Il est aujourd’hui encore, reconnu comme le «père de la physiologie expérimentale ». Prenant appui sur sa propre expérience, il expose ses principes en 1865 dans une Introduction à l’étude de la médecine expérimentale. Selon lui, tout raisonnement scientifique doit s’appuyer sur une succession de trois phases :

– L’observation d’un fait ;
– Une hypothèse pour expliquer ce fait ;
– Une expérience permettant de confirmer ou d’infirmer cette hypothèse.

Cette méthode expérimentale digne des plus grands enquêteurs, annonce une nouvelle ère de la médecine. Et elle a permis à Claude Bernard de faire des découvertes majeures.. Seul bémol, la plupart de ses expérimentations passaient par la vivisection. «Ce qui lui a valu quelques déboires avec la toute nouvelle Société protectrice des Animaux (SPA) créée en 1845 », s’amuse Pierre Corvol. «Même sa femme et ses filles, farouches militantes de la cause animale, finiront par se détourner de lui».

Cette propension à expérimenter sur l’animal fera dire à Claude Bernard que «s’il fallait tenir compte des services rendus à la science, la grenouille occuperait la première place ».

Une vie de découvertes

«Enumérer toutes les découvertes de Claude Bernard prendrait un temps fou» tempère le Pr Corvol. «L’une des plus importante fut celle de la fonction glycogénique du foie. La théorie la plus couramment admise à l’époque était que le sucre provenait de l’alimentation. Et qu’il était détruit par les phénomènes de combustion, notamment lors de la respiration».

Pourtant, Bernard établit assez rapidement que le sang et le foie des animaux contiennent du sucre même lorsque leur alimentation en est dépourvue. En s’appuyant sur sa méthode en trois étapes – observation, hypothèse et expérience – il a émis l’hypothèse que «le foie est l’organe de production du sucre dans l’organisme, et non de destruction ». Hypothèse qu’il a pu démontrer par l’expérience, dans le règne animal.

Une autre expérience dite « du foie lavé » lui permettra de découvrir que le foie est capable de produire une substance de réserve, le glycogène. Claude Bernard démontra ainsi chez le chien, que la glande hépatique a une fonction de rétention du sucre dans l’organisme. Ce rôle dans la régulation de la glycémie ouvrit des voies majeures pour la compréhension du diabète.

Le concept de milieu intérieur

Cette découverte lui a également permis d’énoncer un tout nouveau concept, celui de milieu intérieur. Il s’agit là du milieu dans lequel baignent les cellules de l’organisme. Il se compose du milieu interstitiel (autour des cellules de tous les tissus), de la lymphe et du sang. Or selon Claude Bernard, le milieu intérieur doit rester stable dans sa composition physicochimique (taux de glucose, alcalinité…) pour assurer «les conditions d’une vie libre et indépendante » face à un environnement extérieur hostile. Ainsi les êtres recréent-ils à l’intérieur de leur organisme, des conditions favorables à la vie des cellules.

A partir de ces deux exemples que sont la découverte de la fonction glycogénique du foie et le concept de milieu intérieur, Claude Bernard a réellement joué un rôle essentiel dans la découverte des mécanismes de régulation des fonctions de l’organisme. Il apparaît en outre comme l’un des pères fondateurs de la physiologie.

Il mourra en 1878, et ses découvertes comme son implication au service de la science médicale lui vaudront des funérailles nationales. Ce seront d’ailleurs les premières jamais organisées en France, en l’honneur d’un homme de science.

Et aujourd’hui ?

Par ses découvertes sur le diabète, Claude Bernard a bien sûr marqué la recherche médicale d’une empreinte indéniable. Chaque année d’ailleurs, il est mis à l’honneur par l’Association européenne pour l’Étude du Diabète (EASD) qui décerne un prix Claude Bernard.

La ville de Paris pour sa part, l’honore annuellement en attribuant le Grand Prix Claude Bernard de la recherche médicale. Et bien des chercheurs aujourd’hui, sont encore guidés par l’une de ses devises fameuses : « l’expérimentateur qui ne sait pas ce qu’il cherche ne comprend pas ce qu’il trouve ».

  • Source : Interview du Pr Pierre Corvol, 18 janvier 2012. http://coursp1bichat-lariboisiere.weebly.com/, consulté le 12 avril 2012

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