Cœur artificiel Carmat : un court-circuit… dans la communication
17 mars 2014
L’analyse de la première prothèse implantée durant 74 jours se poursuit. ©Carmat
« Court-circuit »… Le terme lâché hier par le Pr Carpentier, concepteur du cœur artificiel total a fait l’effet d’une bombe. L’emploi de ce mot a été très mal vécu par la société Carmat qui s’est empressée de faire un communiqué de presse, afin de rassurer le grand public et surtout ses actionnaires, sur la poursuite du protocole. La communication autour de cette première médicale s’emballe sur fond de crispations entre l’équipe médicale et Carmat. Avec une question : le décès est-il dû à une défaillance de la machine ?
Une panne de composant ? Le Pr Daniel Duveau (CHU de Nantes) est l’un des deux chirurgiens, avec le Pr Christian Latremouille (Hôpital Georges Pompidou), auteurs de cette intervention. « Un dysfonctionnement d’un composant électrique dont nous ignorons la cause est suspecté », nous explique-t-il ce lundi matin. « Mais, et c’est un point très positif, nous avons observé que l’intelligence du système avait parfaitement fonctionné. C’est-à-dire que la machine a réagi devant cette panne pour redémarrer et assurer pendant un certain temps, un minimum de pression et de débit. Malheureusement, cela n’a pas suffi ».
Le Pr Duveau ajoute que « ce dysfonctionnement ne remet pas en cause la totalité du système. C’est un peu comme dans un moteur de voiture : ce n’est pas parce que vous avez un problème de bougie que votre voiture devient inutilisable ».
Trouver la cause et poursuivre… Dans un communiqué de presse daté de ce lundi 17 mars, la société Carmat s’empresse de « confirmer la poursuite de l’essai clinique». Le Pr Duveau précise : « le protocole n’est ni arrêté ni suspendu ». Rappelons que dans un premier temps, quatre implantations étaient programmées. « La prochaine n’aura lieu que lorsque nous aurons identifié la cause et établi sa correction ».
Une communication troublante. « Nous sommes en présence d’une société (Carmat n.d.l.r.) qui, du fait qu’elle est capitalisée en bourse, est extrêmement sensible à toute médiatisation », reprend le Pr Duveau. Avec un cours boursier qui a évolué ces dernières semaines, au rythme des déclarations. Qu’elles soient positives avec l’annonce par Carmat, le 20 décembre dernier de cette première mondiale qui avait eu lieu deux jours plus tôt. Ou négatives, avec le décès du patient et un dispositif vraisemblablement en cause.
« Etat satisfaisant »… Avec le recul, on peut également se poser la question de la crédibilité des communiqués de presse de l’hôpital européen Georges Pompidou. Un exemple : le 18 février 2014 – soit 12 jours avant le décès survenu le 2 mars – un communiqué annonce que « l’état du malade est jugé satisfaisant. (…) Le patient s’alimente et ne nécessite plus d’assistance respiratoire continue. Il se soumet volontiers aux exercices de rééducation physique qui lui permettent d’augmenter progressivement son périmètre de marche ».
Mises en parallèle, les déclarations de la famille du malade dans le Journal du Dimanche posent question. « Il a fait un malaise le 10 janvier. (…) Après, ça été la dégringolade. Il n’est jamais sorti de réanimation. Il n’a plus mangé de viande, ni de légumes. Il se nourrissait de crèmes vitaminées, de compotes et de yaourts »…
« S’il n’y avait eu que moi… » Certes, on peut estimer que tout cela illustre les différentes perceptions d’un médecin et d’une famille par rapport au statut d’un proche. Mais tout de même… Et le Pr Duveau de conclure : « s’il n’y avait eu que moi ou plus globalement l’équipe médicale, nous aurions fait les 4 premières implantations en toute discrétion. Et nous n’aurions publié les résultats qu’au terme de ces interventions ». A l’image d’une étude clinique classique, en somme.
-
Source : Journal du Dimanche, 16 mars 2014 – Carmat, 17 mars 2014 – Interview du Pr Daniel Duveau, 17 mars 2014 - Hôpital européen Georges Pompidou, 18 février 2014
-
Ecrit par : David Picot – Edité par : Emmanuel Ducreuzet