Comment se construire avec un parent célèbre ?

16 juin 2023

Pas facile de trouver sa place quand on grandit avec une mère ou un père connu de tous. Comment réussir à s’affirmer ? Comment prendre du recul face aux moqueries des cours de récré ? On a posé ces questions à Michaël Larrar, psychiatre, spécialisé dans la prise en charge des enfants et des adolescents. Entretien.

Quelles sont les particularités d’une enfance avec un parent célèbre ?  

Michaël Larrar : Il y a des spécificités selon l’âge des enfants. Quand ceux-ci sont très jeunes, le fait d’avoir un parent célèbre ne leur pose généralement pas de problème. Ils sont même plutôt fiers d’avoir une maman ou un papa qu’ils considèrent comme fort, brillant et pas comme les autres. Jusqu’à l’âge de 6 ans, ils tirent un vrai bénéfice narcissique d’avoir une haute estime de leur parent. En grandissant, vers 7 ou 8 ans et encore plus à l’adolescence, ils s’individualisent et remettent alors en question l’attention et l’amitié qu’on leur porte : est-ce pour leur qualité à eux ou parce qu’ils ont un parent célèbre qu’on s’intéresse à eux ?

Et il y a les moqueries. L’impact d’un enfant qui se moque sera toujours beaucoup plus fort que celui de dix enfants admiratifs, l’enfant de parent célèbre en souffrira énormément. Ils aiment leur parent, leur sont très loyaux et se sentent pris pour cibles. Ils sont généralement davantage prêts à entrer dans le conflit pour défendre leur parent plutôt qu’à se concentrer sur les relations plus saines.

 

Comment réussir à se construire en tant qu’individu, avec sa propre personnalité ?

Une bonne partie de la personnalité se construit jeune dans les interactions avec les parents. Dans ce cas, ce n’est pas la célébrité du parent mais plutôt sa personnalité qui influence celle de l’enfant. Une autre partie de la personnalité, celle qui se construit dans les interactions avec les autres, est effectivement influencée par l’image du parent si elle envahissante dans la vie sociale. C’est pourquoi, si l’enfant manque de confiance en lui, il peut avoir besoin de surjouer une autre personnalité. Il se construit alors un personnage factice afin de ne plus être « l’enfant de » et trouver sa propre place. Mais ces enfants restent eux, malgré les efforts qu’ils font pour se démarquer de l’image de leur parent.

 

Au contraire, on peut retrouver une identification très forte au parent célèbre ?  

Oui, et cela génère des difficultés, surtout en grandissant et à l’âge adulte. Quand on est petit, jeune et ado, on est heureux de choisir la même voie que son parent célèbre, sportif par exemple, cela fonctionne. Mais en grandissant, l’enfant adulte peut se sentir dans l’ombre du parent parce qu’il s’est placé sur le même échiquier et surtout s’il ne connaît pas le même succès. On peut observer une rivalité difficile à gérer à l’âge adulte.

 

Comment, avec des métiers publics qui sont souvent très prenants, montrer à son enfant que c’est malgré tout lui qui compte le plus ?

Un enfant peut avoir le sentiment que son parent appartient plus aux autres qu’à lui. Il souffre d’une relation qui n’est pas suffisamment intime et privée. Le parent doit alors énormément verbaliser pour expliquer à son enfant la situation, son métier, ce qu’il fait. Il est nécessaire de rappeler des évidences à ces enfants qui ne sont pas dans un environnement classique : ils ont besoin d’être rassurés et de savoir que ce sont eux qui comptent le plus. Et quand il y a une carence de quantité, il faut augmenter la qualité. La qualité passe souvent par un moment à deux, intime, loin du regard des autres et en étant centré sur le plaisir et le bien-être de l’enfant.

 

L’enfant peut-il avoir du mal à faire la différence entre le personnage public et son parent tel qu’il est dans l’intimité ?

Je dirais que de ce point de vue, c’est assez facile. L’enfant a grandi avec son parent et il le connaît tel qu’il est. Il faudra toutefois ouvrir la discussion avec l’enfant quand, justement, il découvrira cette image publique. On ne peut pas lui bloquer l’accès aux écrans, aux médias et à des enfants moqueurs. Les bulles, cela n’existe pas. Il faut alors l’aider. Anticiper ce qu’il pourrait entendre et ce qu’il pourrait répondre. Et même s’il entend des choses très dures sur le parent, l’enfant ne doit pas avoir peur de les lui répéter. Ce n’est pas à l’enfant de protéger son parent mais bien l’inverse. C’est le rôle du parent de le faire comprendre à son enfant. Communiquer, expliquer, discuter, c’est primordial. Sinon, les enfants risquent de se retrouver seuls et démunis face aux autres.

 

Et comment gérer les réseaux sociaux ?

Les enfants de stars sont victimes de jalousie. Il est dangereux qu’ils soient eux-mêmes célèbres uniquement parce que leurs parents sont célèbres. Il s’agit d’une célébrité construite sur les réseaux sociaux et par le voyeurisme, et qui les rend très attaquables et vulnérables. Il faut les protéger le plus possible de la déferlante de haine à laquelle ils pourraient être exposée sur les réseaux, et ne surtout pas les exposer. C’est le rôle des parents d’assurer à leurs enfants la vie la plus tranquille et la plus libre possible. Les enfants doivent vivre leur propre aventure.

*Les secrets de nos inconscients, Michaël Larrar, Librinova, 2023

  • Source : Interview de Michaël Larrar, psychiatre spécialisé dans la prise en charge des enfants et des adolescents

  • Ecrit par : Dorothée Duchemin – Edité par Emmanuel Ducreuzet

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