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On peut imaginer que la présence d’un enfant à l’enterrement d’un proche dépend de nombreux facteurs, à commencer par son âge ?
Laurence Picque : Non, il n’y a pas de bémol à apporter : contrairement à ce que l’on peut penser, un enfant a toute sa place lors de l’enterrement d’un proche, parent, frère, sœur ou grand-parent. Quelle que soit la nature du lien, les enfants doivent pouvoir participer aux funérailles. De nombreuses études l’ont montré, notamment celles du psychiatre Michel Hanus et de la psychologue Marie-Frédérique Bacqué (Place des rites funéraires dans le processus du deuil, 2020), parmi d’autres. Ces travaux démontrent que les funérailles n’ont rien de traumatisant pour un enfant. Ce qui peut poser problème, c’est avant tout le regard des familles et la manière dont elles transmettent ou non ce rituel. La peur vient souvent des adultes eux-mêmes, qui ne sont pas à l’aise avec la mort. Ils pensent protéger l’enfant en le tenant à l’écart, alors qu’en réalité, c’est leur propre réticence qui les freine.
Beaucoup d’adultes pensent encore que confronter un enfant à la mort est impensable. C’est une idée très répandue, très ancrée dans les pratiques culturelles et familiales mais complètement contre-productive. Car ces rituels liés à la mort sont structurants et essentiels. Les jeunes générations montrent plus d’ouverture mais il existe encore beaucoup de freins, liés surtout à une méconnaissance de ce que représente réellement un rituel funéraire et de ce qu’il apporte à l’enfant, notamment.
Que dire à l’enfant ?
Tout d’abord, l’enfant, lui, n’aborde pas la mort comme un sujet tabou. Ce n’est pas traumatisant en soi. Cela devient un événement qui prend sens selon la manière dont la famille en parle et dont le rituel est vécu. L’enfant s’imprègne de l’ambiance, des mots, de la façon dont le groupe familial vit ce moment. Il doit être intégré à tous les évènements familiaux. Si l’on vient de perdre un grand-père, la question est de savoir comment ce décès est présenté à l’enfant. Tout dépend des circonstances, bien sûr : un suicide, une longue maladie ou un décès brutal n’ont pas la même résonance. Mais, dans tous les cas, il est essentiel de dire la vérité. Il faut pour cela employer des mots simples : « Papi était très malade, il était fatigué, en fin de vie et il est mort. » Employer le mot « mort », et non des formulations vagues comme « il est parti » ou « il est dans le ciel avec les étoiles ». Car l’enfant prend tout au pied de la lettre et risque d’interpréter ces métaphores de manière confuse et d’en être perturbé. On peut dire simplement à l’enfant : « Papi est mort. Il existe des endroits spéciaux qu’on appelle les cimetières, où l’on enterre les personnes mortes, parfois dans un cercueil, parfois dans une urne. » L’important est d’expliquer ce rituel avec des mots justes.
Car même si l’enfant ne comprend pas tout intellectuellement, il ressent que ce moment est empreint de sérénité et de gravité. Il perçoit alors que la tristesse est normale : perdre un proche fait partie de la vie. Ce qui compte, c’est de lui dire qu’il n’est pas responsable de cette mort, et qu’on a le droit de pleurer, d’être triste et enfin de montrer que la personne disparue reste présente dans le cœur, que jamais ils ne l’oublieront et que les funérailles, puis les visites au cimetière ou d’autres formes d’hommage, permettent de nourrir ce lien symbolique.
Vous dites que ce n’est pas traumatisant. Sur quoi vous fondez-vous ?
Un enfant, au départ, n’a aucune conscience de ce qu’est la mort. Entre 0 et 5 ans environ (cela dépend de la maturité de l’enfant), il reste dans l’imaginaire. Pour lui, la mort n’existe pas vraiment comme une réalité : elle est réversible. Dans les premières années, il ne se dit pas « on meurt », il pense plutôt « on est tué ». Peu à peu, avec la maturité psychique, l’enfant comprend l’irréversibilité de la mort. Il commence à se poser des questions vers 7 ans, parfois un peu plus tard selon son éveil.
Doit-il voir le corps de la personne décédée ?
Il peut, à condition que cela lui soit expliqué et qu’il soit accompagné. Rien n’est imposé : on lui demande simplement s’il en a envie. S’il dit non, aucun problème. On peut lui expliquer : « Papi est mort. Il sera allongé sur un lit ou dans son cercueil. On aura l’impression qu’il dort, mais il ne bougera plus et il sera froid et sa peau blanche. Si tu veux, tu peux aller lui dire au revoir une dernière fois. Tu peux aussi lui faire un dessin que nous mettrons dans le cercueil. » L’essentiel est de préparer l’enfant à cette vision, qui peut être difficile, en lui donnant des repères clairs et en respectant son choix. Pour un enfant, voir le corps n’est pas traumatisant en soi. Ce qui peut l’être, c’est l’absence de préparation ou l’obliger à un geste qu’il n’a pas choisi.
A l’inverse, que peut-il se passer si l’enfant est empêché d’assister aux funérailles ?
Exclus d’un moment structurant et symbolique, un enfant peut éventuellement ressentir plus tard un manque, un regret, l’absence d’un dernier hommage et la frustration de ne pas avoir pu accompagner son proche jusqu’au bout.
Dans la construction psychique, assister aux funérailles est important. Ce n’est pas un traumatisme en soi, mais cela aide dans le processus du deuil, en tant qu’étape structurante comme les autres moments important de la vie. Car ce qui compte, c’est le passage de l’image de la personne vivante à l’image de la personne décédée. Confronter l’enfant à l’image du défunt peut paraître difficile pour nous adulte également, mais structurant : nous ne pouvons plus nier la réalité de la mort et alors nous commençons à intégrer progressivement que la personne ne reviendra pas. Si cette transition n’a pas eu lieu, le processus de deuil peut être plus long. Être présent aux funérailles offre cette représentation concrète qui aide à intégrer la perte.
En résumé, assister aux funérailles d’un proche est structurant pour un enfant, c’est même important. Cela dit, il faut tenir compte du désir de l’enfant : chaque situation est singulière, et il est impossible de généraliser. En revanche, il n’existe aucun interdit d’emmener un enfant aux funérailles. En cas d’indécision, lorsque les parents ne savent pas comment s’y prendre ni quels mots employer, il peut être utile de faire appel à un professionnel, à condition que celui-ci soit formé au processus du deuil, pour ne pas perpétuer les idées reçues. Les parents peuvent se sentir démunis et cela se comprend.
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Source : Interview de Laurence Picque psychothérapeute clinicienne spécialiste du deuil (03/09/25). Présidente de la Fédération Européenne Vivre Son Deuil.
Ecrit par : Hélène Joubert ; Édité par Emmanuel Ducreuzet