5 choses que l’on ignore sur le deuil
31 janvier 2025
48 % des Français ont vécu un deuil et plus d’un sur deux signale une dégradation de sa santé, un épuisement, des difficultés psychologiques. Laurence Picque, psychothérapeute clinicienne spécialiste du deuil, va au-delà des idées préconçues sur le deuil, et explique pourquoi il est une « machine à laver émotionnelle ».
1 – Le deuil n’est pas un chemin à parcourir de manière linéaire.
On parle souvent du deuil à travers l’idée d’ « étapes » à réaliser, mais « il s’agit davantage de moments ou de phases d’expression des émotions que d’un parcours linéaire à accomplir », fait remarquer Laurence Picque. La théorie des étapes du deuil, popularisée par la psychiatre Élisabeth Kübler-Ross, concernait à l’origine les personnes en fin de vie, non décédées. Cette approche a été appliquée par glissement aux endeuillés et donc à ceux qui restent après le décès du proche. Or, si certains mécanismes semblent similaires, la dynamique est différente. Deux courants théoriques émergent sur le deuil : l’un suggère qu’il faut “faire son deuil“, tandis que l’autre considère que le deuil nous traverse, qu’il agit sur nous, « ce qui est ma vision, ajoute-t-elle. N’oublions pas que c’est un processus naturel de cicatrisation psychique. Le deuil, pour moi, représente un processus où des émotions telles que la tristesse, la colère ou la culpabilité nous envahissent, souvent sans ordre précis. Ces pensées et sentiments surgissent de manière imprévisible. Ils ne peuvent être provoqués ou ordonnés. »
L’annonce de la perte marque le début d’un processus naturel de cicatrisation, comparable à celui d’une plaie physique. À partir de cette “blessure”, le psychisme entame un travail de reconstruction et de réparation, comme le ferait le corps face à une blessure. Ce processus, bien qu’il suive une logique naturelle, reste imprévisible dans son déroulement et son intensité pour chaque individu.
2 – Plutôt que de se taire, parler de la mort et du deuil permet d’apaiser la douleur.
Le deuil nous entraîne en quelques sorte dans un voyage intérieur. Il nous reconnecte à nos souvenirs, bons ou mauvais, et revisite chaque détail de notre histoire avec la personne disparue. Ce processus est comme une « machine à laver » émotionnelle : les émotions se mélangent et se brassent sans logique apparente. Et « ce qui aide véritablement à traverser cette période, c’est d’en parler, assure la psychothérapeute. Malheureusement, notre société érige souvent un mur de silence autour de la mort et du deuil, ce qui freine leur compréhension et leur expression. Alors qu’au contraire, le partage des émotions et des expériences permet de cheminer dans le deuil. C’est en brisant ce tabou qu’il devient possible d’apaiser la douleur et de mieux comprendre ce processus si mal connu. »
3 – Le deuil provoque des impacts physiques, en plus des bouleversements sociaux et psychologiques.
Le deuil a des impacts tangibles sur les plans physique, psychologique, social et spirituel. Toutes les dimensions de notre existence et de notre histoire peuvent être affectées par cette expérience. Sur le plan physique, le deuil peut entraîner « une fatigue intense, des troubles du sommeil, une perte d’appétit, des douleurs ou une tension générale dans le corps, énumère Laurence Picque. Le corps subit un choc, et cette situation fragilise le système immunitaire, rendant la personne plus sensible aux maladies, aux infections. »
Psychologiquement, il provoque une grande instabilité émotionnelle, marquée par des sentiments de tristesse, de colère, de culpabilité et de confusion, avec des pertes de mémoire et des difficultés de concentration, « sans qu’un ordre précis ne puisse être établi entre ces émotions », précise-t-elle.
Socialement, le deuil a également des conséquences. Il peut mener à un isolement de la personne endeuillée, qui se replie sur elle-même dans un premier temps. « Elle peut avoir du mal à se reconnecter à son entourage, reconnaît la spécialiste. Lorsque cette personne cherche à parler de sa douleur, elle se sent souvent incomprise, car le décalage entre son vécu et les attentes sociales est énorme. »
4 – Il n’y a pas de durée moyenne de la période de deuil.
Le processus de deuil est influencé par de nombreux facteurs externes. La manière dont une personne décède, brutalement ou après une longue maladie, peut affecter le vécu du deuil. D’autres facteurs incluent l’environnement de la personne endeuillée, sa personnalité, son histoire personnelle, ainsi que sa capacité de résilience. Ces éléments rendent chaque expérience du deuil unique. « Il existe aussi une pression, implicite ou explicite, pour ‘aller mieux rapidement, pour ‘passer à autre chose’, ce qui est difficile à vivre, indique Laurence Picque. Cela crée une forme de déconnexion avec l’environnement, car le deuil n’est souvent pas pris à sa juste valeur, notamment dans la sphère professionnelle. Le manque de soutien dans la sphère professionnelle et sociale peut devenir une forme de violence terrible pour la personne endeuillée. La pression pour reprendre le travail rapidement après un deuil, sans véritable espace pour vivre sa peine, accentue le sentiment de déconnexion et d’isolement. »
5 – Même bien entourée, la personne endeuillée peut se sentir seule, et même de plus en plus seule.
Dans les cercles amicaux, le soutien, présent au départ, peut se dégrader avec le temps. Laurence Picque l’explique ainsi : « il existe une forme de lassitude ou d’inconfort, souvent non exprimée, qui conduit la personne endeuillée à se sentir de plus en plus seule, malgré la présence de ceux qui l’entourent. » Beaucoup de personnes rapportent ce paradoxe, signale-t-elle : « être entourées de soutien bienveillant et, pourtant, ressentir une profonde solitude, car la souffrance est intérieure, personnelle, et ne peut être pleinement partagée. »
Pour en savoir plus sur la mort et le deuil mais aussi être accompagné ou suivre une formation : Happy end, média en ligne
Laurence Picque est psychothérapeute clinicienne spécialiste du deuil, formatrice diplômée intervenant pour Happy end. Elle est également la présidente de la Fédération européenne Vivre son deuil.