Dysenterie : itinéraire d’un virus mortel
23 mars 2016
John Wollwerth/shutterstock.com
Des chercheurs français et britanniques viennent de publier une étude retraçant l’histoire du bacille de la dysenterie épidémique, l’un des pires fléaux qu’ait connu l’humanité au cours des XVIIIe et XIXe siècles. Leur travail révèle notamment que le pathogène sévissant actuellement en Afrique et en Asie, probablement d’origine européenne, a été transmis d’un continent à l’autre au travers des flux migratoires et des opérations militaires.
L’agent de la dysenterie épidémique, la bactérie Shigella dysenteriae de type 1, a été isolé au Japon en 1897 au cours d’une vaste épidémie de diarrhée sanglante ayant provoqué 20 000 morts en l’espace de six mois. Depuis, les souches ont été isolées aux quatre coins du monde, sans qu’il ne soit possible de comprendre l’origine des épidémies auxquelles elles ont donné naissance ni les liens qui les unissent.
Une étude sans précédent
Pour percer le mystère, des chercheurs de l’Institut Pasteur et du Wellcome Trust Sanger Institute (Cambridge, Royaume-Uni) ont entrepris un travail d’envergure. Ils ont analysé plus de 330 souches de Shigella dysenteriae type 1 isolées de 1915 – chez des soldats du corps expéditionnaire des Dardanelles – à 2011 et collectées par 35 instituts internationaux dans 66 pays.
Ainsi ont-ils ont pu retracer le cheminement de la bactérie à l’échelle mondiale au cours du temps. En moins de 20 ans, entre 1889 et 1903, S. dysenteriae, partant d’Europe, s’est d’abord implantée en Amérique, en Afrique et en Asie. Une dissémination rendue possible grâce à l’émigration ainsi qu’à la colonisation.
Au XXe siècle, la bactérie est une nouvelle fois identifiée en Europe lors du premier conflit mondial, en particulier lors de l’expédition des Dardanelles (1915-1916), où elle contribua à la défaite des troupes alliées. Elle est également retrouvée en Europe centrale, lors de la seconde guerre mondiale, avant de disparaître du continent.
En revanche, elle continue son expansion en Asie, en Afrique et en Amérique centrale sous formes de flambées épidémiques violentes (500 000 cas pour l’épidémie d’Amérique centrale de 1969-1972). Le foyer du sous-continent Indien (Inde et Bengladesh) deviendra par la suite le plus actif tout au long du XXe siècle et sera la source de plusieurs vagues épidémiques vers l’Afrique et l’Asie du Sud Est.
La dysenterie fait de la résistance
En l’espace de 25 ans (1965-1990), 99% des souches sont devenues résistantes aux antibiotiques. L’étude de la collection, dont les premières bactéries ont été isolées bien avant l’utilisation des antibiotiques chez l’homme, a également permis de dater précisément l’apparition des premières antibiorésistances au milieu des années 1960 en Asie et en Amérique. La bactérie a ensuite accumulé des gènes de résistance vis-à-vis de la plupart des classes d’antibiotiques, et depuis les années 1990, moins de 1% des souches bactériennes restent sensibles aux antibiotiques.