Erotomanie : tout savoir sur ce trouble mental
26 mars 2024
Le terme "érotomanie" résulte de la fusion de Éros, le dieu de l’Amour, et la manie, évoquant la folie. Ce trouble n’est pas si rare, et peut toucher des individus de notre cercle social élargi, à des degrés divers. Décryptage.
“Paranoïa érotique” ou “illusions auto-érotiques” sont d’autres appellations désignant l’érotomanie. Ce trouble se caractérise par la présence d’une conviction délirante, illusoire et erronée d’être aimé. Il s’exprime sous la forme d’un délire passionnel persistant.
L’ampleur de ce trouble n’est pas à négliger. Le Pr Laurent Karila, psychiatre et auteur d’un ouvrage traitant de ce sujet, estime qu’il touche 15 personnes sur 100 000 dans le monde, avec une prévalence trois fois plus élevée chez les femmes que chez les hommes. Un portrait-type de l’érotomane émerge : généralement une femme célibataire de plus de 35 ans. Et souvent, l’érotomanie d’une personne est en lien avec des dynamiques familiales dysfonctionnelles et des carences affectives précoces.
Qui est l’objet d’un amour à sens unique ?
Globalement, le délire érotomaniaque se développe en réponse au sentiment mélancolique de ne pas être aimé. Mais dans cette quête incessante de l’être aimé, la personne affectée oscille entre souffrance et plaisir, précise le Pr Karila.
Le délire amoureux à sens unique cible en général une personne occupant une position sociale ou professionnelle perçue comme supérieure (médecin, professeur, avocat, homme politique ou personnalité publique…).
Finalement, les idées ne semblent pas étranges, leur contenu apparaît plausible, même si la conviction délirante reste inflexible et inaltérable.
Le processus qui mène à l’érotomanie
Dans la plupart des cas, la personne « objet de l’affection non partagée » se retrouve involontairement en contact avec l’érotomane, de manière anodine, par exemple à travers une photo « likée » ou un simple mot de remerciement. Mais là où tout dérape, c’est lorsque l’érotomane interprète ces gestes comme des signes d’amour. Et c’est l’escalade : la personne convaincue d’être aimée déploie alors tous les moyens pour prolonger cette connexion, rendant cette histoire existante, durable, et intense, bien qu’unilatérale.
Les psychiatres distinguent trois phases dans ce processus qui mène inéluctablement à l’échec, avec des conséquences plus ou moins désastreuses : l’espoir, le dépit et la rancune.
L’espoir est entretenu involontairement par « l’objet aimé »
L’érotomane, dans un état d’exaltation amoureuse, multiplie les gestes d’affection (textos, cadeaux, appels…) et tente de se rapprocher. Cela peut vite devenir du harcèlement. Mais la personne ciblée va, au début, répondre de manière polie et courte. Comme l’érotomane n’est pas en mesure de comprendre qu’il est éconduit, il persiste. Il trouve des justifications « plausibles » à tous les refus qu’on lui oppose (« un jeu entre eux deux », une liaison interdite, etc.).
Une phase de répit s’installe, avant de passer à celle de la rancune
La victime harcelée veut mettre fin à cette situation. Elle ignore alors toute sollicitation et peut même envisager de porter plainte. La personne érotomane, submergée par la tristesse, la déception, l’incompréhension et la douleur, persiste toutefois dans sa volonté de maintenir le contact malgré le rejet. S’installe alors la 3e phase où se mêlent la colère, la rancune, le désir de vengeance à la violence envers l’être aimé. Courriers, messages, textos, appels, tentatives de s’introduire au domicile de l’autre, destruction de biens lui appartenant… tout y passe. On est dans la persécution qui peut, selon Laurent Karila, entraîner chez la victime un stress post-traumatique, l’érotomane envahissant sa vie quotidienne et la plongeant dans un climat de peur constant.
Les conseils du Pr Laurent Karila pour s’en sortir
A l’attention de la victime, le psychiatre lui conseille de ne pas garder tout pour elle, d’éviter l’isolement et de consulter un psychologue ou un psychiatre. Aucun échange, pas de conflit direct avec l’érotomane sont la clé, mais aussi recourir à la justice assez tôt (mains courantes, dépôt de plainte, signalement).
Et pour l’érotomane, il insiste sur le fait que sa maladie doit être prise en charge, avec un traitement médicamenteux antipsychotique combiné à une psychothérapie, dont un travail sur l’estime de soi, ajoute Laurent Karila, qui entrevoit une fenêtre de tir : les soins deviennent plus accessibles lors de la phase de dépit.
L’hospitalisation sous contrainte en psychiatrie est souvent nécessaire en raison du caractère potentiellement dangereux pour soi-même et pour autrui.
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Source : « Docteur : addict ou pas ? », Pr Laurent Karila, éditions Harper Collins, janvier 2024/608 pages.
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Ecrit par : Hélène Joubert ; Édité par Emmanuel Ducreuzet