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Quand la science s’est-elle intéressée à l’expérience de mort imminente ?
Stéphane Charpier : Dès 1975, le médecin américain Raymond Moody a publié un ouvrage, La vie après la vie, où il relate pour la première fois des expériences de mort imminente. Le problème, c’est que Moody était spiritualiste et considérait que ces personnes étaient revenues du monde des morts. Ce n’est que depuis le début des années 2000 que les expériences de mort imminente sont un véritable sujet de recherche. Aujourd’hui, elles sont reconnues comme réelles et ce champ est désormais intégré au domaine médical et scientifique.
Vers quelles directions s’orientent les recherches ?
Des enregistrements électroencéphalographiques (EEG) réalisés aux États-Unis chez des patients en arrêt cardio-respiratoire ont montré des périodes d’activité cérébrale ressemblant à celles de l’« éveil conscient », alors même qu’ils étaient en train de mourir. L’hypothèse dominante est donc qu’au moment de la mort, une sorte de sursaut d’activité cérébrale se produit, générant une forme d’imagerie mentale qui constituerait les expériences de mort imminente.
Vous et votre équipe êtes allés plus loin chez des rats, des expérience non réalisables ni éthiques chez l’homme ?
Nous avons pu confirmer l’existence de ce sursaut d’activité neuronale transitoire dans le cerveau de rongeurs. Il pourrait expliquer les expériences de mort imminente au cours d’un phénomène de dissociation : d’un côté, un état de conscience altéré, comparable à celui du coma, et de l’autre, la génération autonome d’une activité mentale. Autrement dit, bien que la conscience soit globalement effondrée, certains réseaux neuronaux continuent à produire une imagerie mentale intense.
Avec Séverine Mahon (Inserm), nous avons mis au point un modèle de rat qui nous permet d’enregistrer l’EEG pendant un arrêt respiratoire, procéder à une réanimation et enregistrer simultanément ce qui se passe à l’intérieur des neurones. L’activité rapide enregistrée en surface chez les rats en train de mourir est directement liée à l’activation répétée des synapses (zone de contact entre deux neurones). Les neurones, fortement excités, ont une activité synaptique qui augmente. Ce point est fondamental : ce n’est pas une activité diffuse mais partiellement organisée. Et donc potentiellement porteuse de contenu mental !
Vous avez aussi découvert une onde électrique au moment de la réanimation ?
Effectivement. Contrairement aux patients subissant un protocole de fin de vie, nous avons pu réanimer nos rongeurs après l’arrêt respiratoire et découvert ainsi qu’une onde spécifique apparaît alors systématiquement dans l’EEG au cours d’une réanimation réussie. Nous l’avons appelée en anglais the « wave of resuscitation » (onde de la réanimation) car elle est toujours observée avant le retour de l’activité cérébrale. Ce marqueur est inédit. Il annonce, de manière fiable, que le cerveau est sur le point de retrouver une activité fonctionnelle. C’est à ce jour le seul marqueur connu qui nous signale dans 100 % des cas que la récupération est en cours (après plusieurs minutes, voire plusieurs heures).
D’où votre proposition de rebaptiser expérience de « mort imminente » par « vie imminente » ?
Oui car les premiers motifs d’activité cérébrale que nous observons après la réanimation ne correspondent pas à ceux d’un cerveau éveillé ordinaire. Autrement dit, non pas une production mentale d’un cerveau qui s’éteint, mais une manifestation neurologique liée au retour progressif de la conscience.
De plus, ils ressemblent à ceux que l’on enregistre lors d’hallucinations visuelles ou auditives chez certains patients schizophrènes ou lors de la prise de drogues psychédéliques puissantes, comme la psilocybine ou le LSD. Cela ouvre une piste nouvelle : l’état de conscience qui ré-émerge serait d’abord un état hybride, caractérisé par des perceptions altérées ou déconnectées de la réalité, ce qui pourrait contribuer à expliquer les contenus psychiques de type hallucinatoire décrits dans les expériences de mort imminente. Et étant donné que ces drogues psychédéliques agissent sur le cerveau via la sérotonine, ce neuromodulateur pourrait également être impliqué dans les expériences de mort imminente observées au moment où l’activité cérébrale revient.
Mais toute personne réanimée ne rapporte pas nécessairement ces expériences ?
On parle de 15-20 %, mais ces chiffres pourraient être plus élevés, nombreux sont ceux ne souhaitant pas en parler, par gêne ou retenue.
Le patient vit cette expérience pendant qu’il est en train de revenir à lui. Il y a là un parallèle évident avec le sommeil et le rêve. Si je me réveille en plein sommeil lent profond, il y a peu de chance que je me souvienne de quelque chose, même si j’ai rêvé un peu plus tôt, pendant une phase de sommeil paradoxal. C’est parce que je me réveille au bon moment que je peux rapporter ce que j’ai rêvé. De la même manière, je pense qu’il existe une conjonction temporelle entre ce que le patient vit, puis raconte comme expérience, et la période précise où son cerveau était capable de produire cette expérience. C’est cette concordance – entre le vécu subjectif et l’état physiologique du cerveau – qu’il reste à explorer.
Le Pr Stéphane Charpier vient de publier « Le cauchemar de Descartes : ce que les neurosciences nous apprennent de la conscience », Editions Albin Michel (mai 2025)
Source : Interview du Pr Stéphane Charpier (mai 2025)
Ecrit par : Hélène Joubert ; Édité par Emmanuel Ducreuzet