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Rémi Foussat a suivi et suit encore les 14 fulgurés d’Azerailles (Meurthe-et-Moselle), un groupe d’hommes et de femmes frappés par la foudre en 2017. Cette fulguration collective, rarissime, a permis de mettre en évidence une trace biophysique du passage de la foudre dans le corps humain. Un début d’explication de leurs symptômes, nombreux, alors même que leurs examens médicaux sont normaux.
Combien de personnes sont victimes de la foudre chaque année en France ?
Dr. Rémi Foussat : Entre 200 et 500 personnes sont victimes de la foudre. Mais nous n’en suivons qu’une trentaine en moyenne. 90 % des victimes de la foudre survivent. On les appelle des fulgurées et non des foudroyées qui sont, elles, les victimes qui décèdent immédiatement ou quelques heures après.
En chiffres, que représente un coup de foudre ?
Un coup de foudre, c’est 30 000 degrés en moyenne, entre 10 000 et 100 000 ampères (la quantité d’électricité, ndlr) et il peut atteindre 1 000 000 millions de volts (la force de l’électricité, ndlr). Il dure de quelques millisecondes à quelques centaines de millisecondes.
Concrètement, que se passe-t-il quand la foudre frappe ?
Les coups de foudre se définissent selon cinq mécanismes différents. Le coup de foudre direct est le plus fréquent, la victime prend la foudre au niveau de la tête. Dans le coup de foudre latéral, la foudre tombe par exemple sur un arbre et un arc de foudre se crée entre l’arbre et la victime. Il peut aussi s’agir d’un coup de foudre par contact ; une personne est fulgurée car en contact avec un objet frappé par la foudre. Il existe aussi le coup de foudre par tension de pas : la foudre frappe le sol et s’y propage. Si des personnes se tiennent debout, le courant de foudre rentre par une jambe et ressort par l’autre. Cela se produit par exemple lorsque la foudre tombe sur un terrain de sport. Le dernier, moins connu, est le coup de foudre par “ionisation par effet de pointe”. Pour vulgariser, on peut dire que c’est un coup de foudre incomplet, la toute première étape du coup de foudre.
“On peut avoir des examens tout à fait normaux alors même que les victimes présentent des troubles neurocognitifs, neuropsychologiques ou neurologiques.”
Le corps est conducteur de la foudre ?
Selon les modèles théoriques, en effet, certains organes dans le corps humain seraient conducteurs. Dans les modèles pratiques, on n’en est pas certain. Le trajet de la foudre dans le corps est toujours aujourd’hui un mystère. En fonction des autopsies, la foudre passe d’un organe à un autre ou suit le même organe.
Que ressent une personne frappée par la foudre ?
Chaque coup de foudre est unique, en termes de puissance, de densité d’électrons, de température, de durée… Et chaque victime est différente de par son corps mais aussi ses vêtements ou les objets métalliques qu’elle porte. Quand on est touché par la foudre, on subit un immense panel de lésions, qui vont des lésions extrêmement graves, cardiaques, neurologiques, avec des brûlures cardiaques, cérébrales ou des dilacérations artérielles… Ou on peut avoir des examens tout à fait normaux alors même que les victimes présentent des troubles neurocognitifs, neuropsychologiques ou neurologiques (trous de mémoires, troubles du raisonnement, changement de comportement, anxiété, troubles anxiodépressifs, douleurs, tremblements, crampes et troubles de l’équilibre). Une énorme fatigue chronique est sans doute le symptôme que l’on retrouve chez une très grande majorité de fulgurés.
Ces troubles deviennent-ils chroniques ?
Les troubles graves ou un peu surprenants ne vont durer que quelques heures. Ensuite, on a deux types de troubles qui se manifestent : des troubles prolongés durant plusieurs mois (fatigue, douleurs, trous de mémoire) et les troubles neurologiques ou neuropsychologiques qui sont retardés et apparaissent deux à trois mois après l’accident. Ce sont ces troubles qui nous laissent perplexes car les explorations médicales que l’on mène reviennent négatives dans plus de 90 % des cas. Ce qui peut être dur à accepter pour les patients.
“C’est notre travail de médecin kéraunologue : définir ce qui vient de la maladie de la foudre, du psychotraumatisme ou du trauma crânien…”
La portée psychologique de la fulguration est une variable très importante à prendre en compte ?
Bien sûr ! Quand on a été fulguré, la maladie kéraunique, un syndrome de stress post-traumatique très intense qui peut évoluer en stress chronique ou un syndrome dépressif majeur peuvent survenir. Les patients frappés par la foudre au niveau de la tête peuvent présenter des troubles neurologiques qui ressemblent à ceux du traumatisme crânien. C’est notre travail de médecin kéraunologue : définir ce qui vient de la maladie de la foudre, du psychotraumatisme ou du trauma crânien…
Et pour ce qui est du syndrome du stress post-traumatique, lui aussi est propre à chacun. Il y a ceux qui voient les gens tomber ou perdre connaissance et à leur tour comprennent qu’ils sont frappés par la foudre. Ils ressentent la décharge sans perdre connaissance. D’autres victimes ont perdu connaissance et se réveillent avec des gros trous de mémoire et la panique autour d’eux.
Vous venez de prononcer le terme « maladie kéraunique ». C’est quoi ?
Nous sommes quatre médecins spécialistes en France et nous parlons en effet de maladie kéraunique, avec des symptômes que l’on ne voit pas ailleurs. On est sur une atteinte corporelle plutôt neurologique au niveau du cerveau, de la moelle épinière ou des nerfs périphériques mais pour l’heure, on ne dispose ni d’examen ni d’imagerie qui permet de mettre en évidence les lésions.
Alors comment prenez-vous les patients en charge ?
On essaie de trouver un traitement symptomatique, au moins pour les douleurs. Les médicaments sont souvent partiellement efficaces. Ce qui marche le mieux, c’est une rééducation précoce, intensive et prolongée. Pour des douleurs et des crampes, ce sera de la kinésithérapie et pour des troubles de l’équilibre, de la kiné posturale ou neurovestibulaire. Pour des troubles de la vue et de l’équilibre, plutôt un orthoptiste, et pour la coordination ce sera avec un psychomotricien. Enfin, pour les troubles neurocognitifs, c’est une prise en charge par le neuropsychologue.
“Les nanocomposites nous donnent une hypothèse scientifique valable pour expliquer les troubles neurologiques retardés.”
Vous avez lancé une étude pour votre thèse avec les 14 fulgurés d’Azerailles. Qu’avez-vous découvert ?
Nous avons cherché une trace biophysique de la foudre dans leur corps. Lorsque j’ai préparé cette étude, nous avons rencontré une géologue du CNRS, Marie-Agnès Courty, qui a pu mettre en évidence un traceur de foudre. On les retrouve partout où tombe la foudre, ce sont des nanocomposites. Il s’agit de toutes petites quantités de carbone et de métaux qui polymérisent dans le phénomène énergétique de la foudre. On s’est demandé si ces traceurs de foudre pouvaient être également observés chez les victimes de foudre. On a donc prélevé du sang et des urines chez les 14 fulgurés d’Azerailles. Et on en a trouvé. On est donc désormais capable de faire une relation entre ce traceur de foudre et la foudre. Et il peut rester des traces jusqu’à 1 an après.
A quoi va servir cette découverte ?
Cela sert au patient. Lorsqu’il est malade à cause de cet accident, que tous les examens sont négatifs mais qu’on retrouve un traceur de foudre dans ses urines, cela peut lui amener une explication de ses troubles. Il a bien été traversé par la foudre. Cela peut aussi servir pour obtenir une reconnaissance médicale et assurancielle. Et, cela nous donne une hypothèse scientifique valable pour expliquer les troubles neurologiques retardés. Maintenant qu’on a pu mettre en évidence les nanocomposites dans le sang ou les urines, on s’intéresse à leur possible influence sur les cellules, les neurones, les vaisseaux sanguins. Une prochaine étude internationale pourrait être lancée pour comprendre les pathologies dues aux nanocomposites et pas uniquement sur la foudre.
Deux consultations existent pour les fulgurés, au CHU de Toulouse, au centre hospitalier d’Aurillac.
Pour toutes demandes de renseignements : secretariat.pole-amu@ch-aurillac.fr
Pour aller plus loin : une série documentaire sur les fulgurés d’Azerailles, “Fulgurés, quand la foudre ne tue pas”, Emilie Grall et Mickael Royer est disponible sur la plateforme Canal +
Source : Interview de Rémi Faussat, médecin keraunologue à Aurillac
Ecrit par : Dorothée Duchemin - Edité par Emmanuel Ducreuzet