Génétique, éthique : une question de décision

14 mai 2012

La génétique. Voilà un terme qui, encore aujourd’hui suscite la peur chez certains. En quelque sorte « inventée » au XIXè siècle par le moine allemand Johann Gregor Mendel, elle s’est réellement développée au XXè siècle. Ses progrès se sont appuyés sur des découvertes spectaculaires comme celle de la structure en double hélice de l’ADN. Depuis lors, la génétique fait l’objet de bien des interrogations, et de spéculations parfois proches de la science fiction. Celles qui sont relatives au clonage humain notamment, ont fait couler beaucoup d’encre. Dans tous les cas, les considérations éthiques ne sont jamais très loin. « Est-ce que la qualité d’un homme se juge à ses gènes ? ». C’est par cette interrogation que Jean-François Mattei, professeur de génétique médicale et membre de l’Académie nationale de médecine, aborde cette relation entre éthique et génétique. Entretien très philosophique avec ce spécialiste de la bioéthique.

« La génétique est la science de l’hérédité » rappelle-t-il. « Elle est vieille comme le monde. En fait, elle a débuté lorsque le premier couple s’est penché sur son enfant, constatant qu’il avait les yeux de sa mère ou les oreilles de son père. L’idée était née que quelque chose se transmet, de parents à enfant ».

Une histoire de petits pois

Le pas décisif grâce auquel la génétique est devenue une science, survient au XIXè siècle. Il est le fait d’un moine, Johann Gregor Mendel qui croise entre elles différentes variétés de… petits pois ! Il s’intéresse particulièrement à des caractéristiques comme la forme des graines – lisse ou ridée – qui disparaissent et réapparaissent au fil des expériences. C’est alors que les bases de l’hérédité se trouvent posées.

Pour que la génétique entre dans l’ère moderne, il faudra qu’en 1953 Francis Crick, James Watson et Maurice Wilkins découvrent la structure en double hélice de l’ADN. En 1962, leurs travaux leur vaudront le Prix Nobel de médecine. Les explorations et les découvertes alors, vont se succéder à un rythme effréné. En 1956, le nombre de chromosomes dans l’espèce humaine est connu : ils sont au nombre de 46, répartis en 23 paires. En 1959 la première anomalie chromosomique, la trisomie 21 est décelée..

« Si l’on devait comparer les chromosomes à des livres, nous pourrions dire que nous avons étudié les volumes eux-mêmes avant de parvenir aux pages, aux lignes. Nous sommes aujourd’hui capables de lire, lettre après lettre. D’épeler le message génétique. Ce qui a débouché sur l’identification des gènes » commente notre spécialiste. « Nous connaissions plusieurs maladies héréditaires, comme l’hémophilie. Nous avons commencé à les associer à des gènes qui pouvaient en être responsables. Il s’agissait là d’un changement définitif par rapport à ce qui était imaginé par le passé ».

Génétique et éthique : l’heure des choix

Une fois les premiers gènes identifiés, les scientifiques se sont penchés sur leur qualité. « Dès que l’on commence à apprécier la qualité d’un gène, se pose une question quasi métaphysique : est-ce que la qualité d’une personne dépend de ses gènes ? ». C’est ainsi que sont apparues les premières questions d’éthique en génétique. Les nouvelles connaissances impliquent des situations inédites. « Il y a 30 ans, on ne parlait pas d’embryons congelés » précise Jean-François Mattei. « Et devant ces situations, il convient de faire un choix de comportement. C’est cette étape du choix, du questionnement qui constitue l’éthique ».

Le questionnement éthique se déroule en deux phases : la conviction que chacun se forge en conscience, et la réflexion collective qui doit conduire à l’harmonie sociale. Même si ces concepts paraissent relativement récents, le questionnement médical a toujours existé. « L’homme a toujours eu besoin de médiateurs pour gérer sa vie et répondre à ses questions. Entre lui et Dieu, les médiateurs sont religieux. Le médecin pour sa part, fait office de médiateur entre l’homme et son corps ».

Au cours de la seconde Guerre mondiale, les « expériences » des nazis ont démontré que la médecine lorsqu’elle était dévoyée, pouvait asservir l’homme et l’avilir. « Les premiers questionnements éthiques sont apparus dans le domaine de l’expérimentation. A mon sens, le texte fondateur de la démarche bioéthique est le Code de Nuremberg, élaboré en 1947 dans le cadre du procès intenté contre certains médecins nazis ».

La question génétique dans la loi de bioéthique de 1994

Dès lors, la génétique a suscité la réticence et parfois, une certaine méfiance. « Il ne faut pas oublier que ‘Gène’ est la racine de ‘Genèse’ synonyme de ‘Commencement’… mais aussi de ‘Génocide’ et donc d’extermination » insiste Jean-François Mattéi.

L’irruption récente de la génétique dans le débat éthique, grâce à la loi de bioéthique de 1994 relative au respect du corps humain, est intimement liée au progrès scientifique et et en particulier, du diagnostic prénatal. A en croire Jean-François Mattei, celui-ci s’est imposé comme une évidence pour préserver les couples qui avaient un enfant handicapé, et n’osaient enfanter à nouveau. « On ne pouvait décemment pas priver ces couples de toute perspective de bonheur familial équilibré »..

Autre interrogation et elle est fondamentale : celle de la normalité. Dès lors qu’il y a diagnostic prénatal, le choix de poursuivre une grossesse ou non devient possible. « C’est en quelque sorte faire le tri entre ceux qui auraient le droit de vivre et ceux qui n’y auraient pas droit ». Le Pr Mattei reconnaît là qu’il s’agit « d’eugénisme compassionnel, mais donc tout de même, d’eugénisme ».

A l’avenir, le débat tournera sans doute également autour de la médecine prédictive. C’est un concept en effet, qui commence à faire parler de lui. Grâce aux tests génétiques, connaîtra-t-on bientôt les risques pour chacun de développer un diabète, un asthme, ou tel ou tel type de cancer? Pour l’heure, la pratique est interdite… en France. Mais jusqu’à quand ? Elle se développe en effet dans certains pays, et les avancées scientifiques méconnaissent les frontières !

  • Source : Interview du Pr Jean-François Mattei, 18 janvier 2012

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