L’humanitaire, c’est la lutte contre l’indifférence
02 avril 2012
Le Code d’Hammourabi, l’épopée de l’Ordre de Malte, l’appel de Saint-Vincent de Paul, l’œuvre philosophique de Jean-Jacques Rousseau et son Contrat social… L’histoire de l’humanitaire plonge ses racines aussi bien dans l’Antiquité, la chrétienté que dans le siècle des Lumières. « C’est l’histoire de l’Humanité » dit avec conviction le Pr Marc Gentilini. Ancien président de la Croix-Rouge française, et de l’Académie nationale de Médecine, il revient pour l’agence de presse Destination Santé, sur la naissance de l’humanitaire moderne. Avec passion et raison, il débute notre entretien par l’évocation d’une rencontre fondamentale, celle de Napoléon III et d’Henri Dunant.
« Un Suisse un brin rêveur voulait rencontrer Napoléon III et lui demander d’intercéder pour la conduite de ses affaires en Algérie. Le 24 juin 1859, il arrive à Solferino (près de Mantoue dans la province italienne de Lombardie, n.d.l.r.) et découvre un champ de bataille. Effaré par la cruauté à laquelle il est confronté, il prend la décision d’essayer de sauver tous les blessés. » Lentement, Marc Gentilini délie les fils de cet épisode qui sera crucial pour la suite des événements.
Solferino, la naissance de la Croix-Rouge
C’est après ce traumatisme qu’Henri Dunant publie « Un souvenir de Solferino ». « A défaut d’empêcher la guerre, il faut pense-t-il, l’humaniser, améliorer le sort des victimes. Ce livre lui permet de sensibiliser le monde à l’idée de créer un organisme qui pourrait régenter sur les champs de bataille, la survie des blessés et le traitement des morts. Et c’est ainsi que va naître avec beaucoup de difficultés, la Croix-Rouge internationale ».
Dans un premier temps, il fonde le Comité international de secours aux blessés. Peu de temps après, il sera rebaptisé peu de temps après Comité international de la Croix-Rouge (CICR). « Nous sommes en 1863 », précise le Pr Marc Gentilini. Quatorze ans à peine, après Solferino.
« C’est ensuite que sont nées les Conventions de Genève. Il est important de rappeler que trois conventions existaient avant la Seconde Guerre mondiale. La première concernait les combattants de terre et de l’air. La deuxième, les personnels maritimes et la troisième les prisonniers de guerre. Seuls les belligérants étaient concernés. C’est après la Seconde Guerre mondiale seulement que la quatrième convention, concernant les populations civiles, réclamée par Genève et refusée par les démocraties européennes avant guerre a pu enfin être signée. »
Constamment révisées et complétées par des protocoles additionnels, les Conventions de Genève de 1949 et les Conventions de La Haye de 1899 forment ensemble le droit international humanitaire contemporain. A cet instant de l’entretien, Marc Gentilini rappelle le rôle essentiel de la Croix-Rouge dans le respect de ces conventions. « Le Comité international de la Croix-Rouge, c’est un peu l’ONU de l’humanitaire. Chaque société nationale de la Croix-Rouge est liée à son gouvernement, mais elle est tenue à l’indépendance et à la neutralité. » Une notion capitale pour comprendre la scission opérée par les French Doctors au moment de la guerre du Biafra (1968-1970). « C’est la grande différence entre la Croix-Rouge, et toutes les organisations qui sont nées après la guerre du Biafra. Bernard Kouchner et les autres sont partis dans ce pays d’Afrique sous le label de la Croix-Rouge française, dans le cadre du CICR. Il y a eu rupture, parce qu’ils ont préféré s’engager publiquement en faveur d’une des deux parties en guerre. Ils étaient donc en opposition totale avec les principes de la Croix-Rouge sur la neutralité absolue. Par la suite, cette position a été érigée en droit d’ingérence. Ainsi sont nés Médecins sans Frontières puis Médecins du Monde ».
L’arrivée de l’humanitaire spectacle
C’est à cette époque également, qu’est apparu l’humanitaire spectacle. Si Marc Gentilini concède avec une certaine amertume, que ce dernier peut être nécessaire, il ne cache pas son scepticisme. « Le spectaculaire, c’est relativement facile. Vous avez les images de la télévision, et donc la possibilité de faire des appels à dons rentables. Mais le fond du problème ce n’est pas une explosion dans une centrale nucléaire, un tsunami ou un tremblement de terre à travers la planète. L’humanitaire, le vrai, c’est celui qui se vit au quotidien, pour tous ceux sur cette planète qui n’ont pas droit au même regard que les touristes balayés un jour par un tsunami. »
C’est avec passion que l’académicien insiste sur la dimension quotidienne du combat humanitaire. « Cela passe par la distribution de repas, de vêtements, la lutte contre l’analphabétisme, le logement d’un SDF, le sauvetage d’un clandestin… Autant d’actions qui doivent être menées dans l’ombre de la discrétion. Mais le vrai combat de l’humanitaire c’est la lutte permanente contre l’indifférence, ce grand mal de l’humanité, l’indifférence aux autres. »
Aller plus loin :
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