La cardiologie interventionnelle ou comment soigner le cœur sans ouvrir
03 mars 2014
Un stent est un dispositif médical permettant de maintenir une lumière artérielle normale. ©Jean-Paul Bounhoure
L’histoire de la cardiologie a pris un tournant important dans les années 50. C’est à cette époque que le cathétérisme a été reconnu – par l’attribution du Prix Nobel en 1956 à André Cournand – comme une intervention novatrice et utile. Une histoire qui s’écrit encore aujourd’hui, et que nous a raconté le Pr Jean-Paul Bounhoure, cardiologue et membre de l’Académie nationale de médecine.
Percer une veine ou une artère, remonter avec un cathéter, c’est-à-dire un fin tube, par cette voie jusqu’au cœur pour y prendre la pression ou y installer une valve. C’est ce qu’on appelle le cathétérisme cardiaque. Cette méthode révolutionnaire est la base de la cardiologie interventionnelle, qui a permis de soigner de nombreux malades, sans recourir à une intervention chirurgicale lourde. « Le cathétérisme a bouleversé les soins en cardiologie », affirme même le Pr Jean-Paul Bounhoure. Depuis qu’elle a pris son essor, la cardiologie interventionnelle a permis au cardiologue de ne plus « abandonner son malade au chirurgien après le diagnostic ».
Cette discipline « a débuté très tôt avec les différentes techniques d’exploration du cœur », raconte-t-il. La toute première expérience a été réalisée dès 1929 par Werner Forsmann, un médecin allemand vivant à Zürich. « Il l’a fait sur lui-même ! », s’enthousiasme le Pr Bounhoure. En effet, il a poussé un cathéter dans une veine de son bras droit et l’a remonté, sous radioscopie, jusqu’au cœur. « Se rendant compte qu’il supportait bien l’intervention, il a pu enregistrer la pression du cœur droit. » Une extraordinaire découverte qu’il a tenté de partager avec son patron. Résultat, « considéré comme un illuminé, il s’est fait éjecter du service et de l’hôpital », poursuit-t-il.
Le Pr Jean-Paul Bounhoure
Ce n’est que plusieurs décennies plus tard qu’André Cournand reproduisit cette intervention sur le cœur droit. « Il a repris toutes les pressions dans l’oreillette, dans le ventricule droit et dans l’artère pulmonaire dans le cas des différents types de cardiopathies. » Une base de données essentielle pour les diagnostics à venir et « une avancée majeure en cardiologie ». Ce qui lui valut d’ailleurs le prix Nobel de médecine en 1956.
De droite à gauche
Suivant l’exemple de ses prédécesseurs, Sven-Ivar Seldinger, un médecin suédois, s’intéressa au « cœur gauche » (le cœur est divisé en deux parties verticales séparées) dans les années 1968-70. Il utilisa la même technique du cathétérisme pour prendre les pressions. Dans le même temps, « la chirurgie coronaire se développait et nécessitait d’excellentes radiographies des artères coronaires pour bien guider les chirurgiens », explique le Pr Jean-Paul Bounhoure. « C’est pourquoi l’injection de produits opaques par cathétérisme est devenue un outil indispensable à ces interventions lourdes. » De plus, il a permis un énorme progrès dans la visualisation des lésions au niveau des artères coronaires. « Comme le pontage cardiaque (une intervention destinée à améliorer l’apport sanguin au muscle cardiaque) prenait son essor, cet acte diagnostic devenait indispensable. »
Les innovations permises par le cathétérisme ne se sont pas arrêtées là. En 1975, « un cardiologue novateur allemand, Andreas Grünsweig, a bouleversé l’histoire de la discipline en réalisant la première angioplastie sur un animal », indique Jean-Paul Bounhoure. Il s’agissait de dilater des artères bouchées par des rétrécissements athéromateux à l’aide de ballonnets introduits par voie artérielle. Une réussite reproduite chez l’homme en septembre 1977. « A partir de là, on est passé de la cardiologie médicale à la cardiologie interventionnelle, devenue discipline presque parachirurgicale », s’enthousiasme-t-il.
Stents, valves… des dispositifs définitifs dans le cœur
Par dilatation d’un ballonnet introduit dans l’artère, on pouvait donc se passer de chirurgie. Pourtant, « malgré d’excellents résultats, la technique a vite montré ses limites. Au bout de quelques années, certains patients présentaient une resténose (l’artère se rebouche) », note-t-il. Ainsi, les artères se rebouchaient purement et simplement. C’est alors que certains cardiologues eurent l’idée de mettre des stents. « Il s’agit de petits éléments métalliques en forme d’ombrelle maintenant les parois de l’artère et conservant donc la lumière artérielle (l’ouverture de l’artère). »
Les stents ne furent pas les seuls dispositifs à être ainsi installés dans le cœur et les vaisseaux. Les années 1980 virent l’apparition des valves artificielles percutanées. Une nouvelle réussite en matière de cardiologie interventionnelle. « On s’attaquait ainsi aux lésions valvulaires. » La valvuloplastie mitrale fut mise au point par un Japonais, le Dr Inoue, en 1984. Cette technique fut ensuite élargie à l’orifice aortique.
Des interventions moins onéreuses, une hospitalisation d’une ou deux journées seulement, pas d’anesthésie générale et une réduction notable des séquelles. Les bénéfices de cet essor sont multiples. Ainsi, « on ne confie plus systématiquement les malades au chirurgien aujourd’hui en France », se réjouit le Pr Bounhoure.
Dernière pathologie abordée par le cathétérisme en date : les troubles du rythme cardiaque. « Dans la fibrillation auriculaire, une arythmie répandue chez les personnes âgées, nous sommes aujourd’hui capables, en passant par la veine cave supérieure, de mettre des sondes dans l’oreillette et d’interrompre les circuits électriques pathologiques par radiofréquence », explique le cardiologue. « Le rythme sinual – c’est-à-dire sain – du cœur est alors restauré. »
Vers des dispositifs encore plus performants ?
L’avenir de la cardiologie interventionnelle réside dans l’amélioration des dispositifs. « Pour réduire le risque de resténose par exemple, les stents sont déjà recouverts d’anti-inflammatoire ou d’antiproliférants », explique le Pr Bounhoure. « Mais le progrès viendra de stents encore plus faciles à manier, d’implantation simplifiée et permettant d’éviter tout risque de thrombose et de resténose. »
En ce qui concerne les valves, « le progrès technique viendra de dispositifs résistant à la calcification. » Jean-Paul Bounhoure se dit « plein d’espoir car les cardiologues sont inventifs et aidés par les ingénieurs et la technologie ».
-
Source : Interview du Pr Jean-Paul Bounhoure, cardiologue et membre de l’Académie nationale de médecine, 18 février 2014
-
Ecrit par : Dominique Salomon - Edité par : Emmanuel Ducreuzet