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Dans une interview accordée à France Inter, retranscrite sur le site du Service d’information du Gouvernement, le ministre Gérald Darmanin a justifié sa volonté d’inscrire dans la loi (SURE pour « Sanction utile, rapide et effective ») l’autorisation pour les enquêteurs français du pôle Cold Case (pôle des crimes sériels ou non élucidés du tribunal judiciaire de Nanterre – PCSNE, Hauts-de-Seine), d’accéder aux bases de données d’ADN dites « récréatives ». Ces fichiers ont été constitués par des sociétés étrangères, principalement américaines, qui vendent au grand public l’analyse de leur ADN à des fins de généalogie ou de « prédiction » du risque de certaines maladies, ce dernier point restant à démontrer.
Dans cette interview, Gérald Darmanin se souvient, alors qu’il était ministre de l’Intérieur, que le pôle Cold Case avait demandé au FBI de pouvoir accéder à ces échantillons d’ADN. « Un ADN récréatif. Vous pouvez en France envoyer votre ADN aux États-Unis pour voir si vous n’êtes pas le cousin de quelqu’un d’autre, et grâce à cette demande de généalogie génétique (…) on a retrouvé par exemple le prédateur des bois qui avait fait plusieurs viols entre 1998 et 2008 », raconte-t-il.
Qu’est-ce que la généalogie génétique ? Cette technique est utilisée lorsqu’une trace ADN (sperme, peau…) retrouvée sur une scène de crime ne correspond à aucun profil répertorié dans les fichiers de police. Elle repose sur la comparaison de cet ADN avec ceux conservés dans les bases de données de sociétés privées de génétique récréative, qui, depuis le début des années 2000, collectent les profils de millions de personnes. Ce croisement permet d’identifier un parent (jusqu’à 3e degré) du criminel et, par recoupements, de remonter jusqu’à lui.
« À ce stade, près de 50 millions de personnes, principalement aux États-Unis, ont réalisé ce type de tests », expliquait récemment à la cellule investigation de Radio France, le généticien Yaniv Erlich, ancien directeur scientifique de la société MyHeritage. En revanche, dans notre pays, effectuer un test ADN à visée généalogique est passible d’une amende de 3 750 euros, ce qui ne décourage pas 100 000 à 150 000 Français chaque année. Pour contourner l’interdiction qui empêche la police française d’accéder directement aux bases récréatives étrangères, la justice saisit les autorités américaines via une demande d’entraide internationale. Cette procédure rarissime a été employée pour la première fois avec succès en 2022 afin d’identifier et d’arrêter le « prédateur des bois » dont parle le ministre. Parmi les millions de Français ayant eu déjà eu recours à des tests ADN proposés par des start-ups américaines figuraient deux cousins de Bruno L., ce qui a permis d’identifier en 2022 ce criminel plus de vingt-cinq ans après les faits.
Gérald Darmanin poursuivait : « il y a plus de 30 affaires au pôle Cold Case aujourd’hui qui, si on autorisait cette demande en Amérique, de voir l’ADN génétique, pourraient être résolues. Il y a plus de 50 000 traces ADN dans le fichier du Fnaeg (le Fichier national automatisé des empreintes génétiques, ndlr), le fichier des délinquants sexuels et des auteurs d’homicides, qui ne trouvent pas preneur. Si nous autorisons dans la loi la généalogie génétique, alors nous pourrions résoudre une partie de ces crimes. Aux États-Unis c’est un crime par semaine qui est résolu. »
L’arrestation de Joseph DeAngelo, le tueur du Golden State, en avril 2018, plus de trente ans après son dernier meurtre est souvent considérée comme la naissance de la généalogie génétique médico-légale. Depuis, cette méthode a connu un essor considérable, les enquêteurs américains et du monde entier ayant de plus en plus recours à la cette technique pour résoudre les affaires les plus complexes.
Cette méthode, qui exige des recherches approfondies, a permis d’identifier le ou les auteurs de certains des meurtres les plus médiatisés, ainsi que des personnes restées anonymes trop longtemps, comme Joseph Augustus Zarelli, autrefois connu sous le nom de « Garçon dans la boîte » et d’« Enfant inconnu d’Amérique ». Le cadavre du garçonnet de 4 ans avait été retrouvé nu et couvert d’ecchymoses en 1957 le long d’une route en Pennsylvanie. Il avait pu être identifié en 2022, grâce à la généalogie génétique.
Et si des affaires comme celle de Zarelli bénéficient d’une forte médiatisation, les enquêteurs utilisent également la généalogie génétique médico-légale pour résoudre des affaires de viol et de meurtre dans des juridictions plus modestes, même dans les zones rurales. Combien d’affaires exactement ? D’après la Pre Tracey Leigh Dowdeswell, professeure de criminologie et d’études juridiques au Collège Douglas, 755 affaires criminelles ont été résolues, impliquant 379 personnes, en date de décembre 2024.
Une étude publiée dans la revue Science a montré toute la puissance de cette technique : à partir des données ADN de 1,28 million d’individus testés par génomique grand public aux Etats-Unis, il est possible d’affirmer que 60 % des Américains auraient un cousin au troisième degré inscrit sur un site de généalogie génétique, ce qui les rendrait potentiellement identifiables sur le plan génétique.
Aujourd’hui, la généalogie génétique n’est pas encadrée par le code de procédure pénale, qui ne prévoit actuellement que la recherche d’ADN de parentèle dans les fichiers de la police. Le ministre de la justice l’assure, l’utilisation de cette technique d’investigation – demandée et soutenue par les professionnels du droit et les familles de victimes – sera réservée aux crimes les plus graves (meurtres, viols, enlèvements) et décidée sous le contrôle du juge.
Maître Marine Allali, avocate de la famille Dumont, dont la petite fille de 8 ans, Sabine, a été violée et tuée en 1987, déclarait il y a quelques jours à la cellule investigation de Radio France : « on sait qu’il faut entre 1 et 2 % d’une population pour pouvoir remonter à un cousin éloigné ». Pour elle, l’ADN retrouvé sur les vêtements de Sabine Dumont permettra d’identifier la famille du meurtrier, puis d’aboutir à son identité.
Respect des données personnelles, risque de fichage ethnique (un garde-fou pour le fichier Fnaeg a été de n’utiliser que l’ADN non codant, c’est-à-dire les séquences du génome non traduites en protéines) …, le débat de société est ouvert en France.
De l’autre côté de l’Atlantique, « nous avons constaté que nos utilisateurs y sont très favorables, assure Tom Osypian, directeur associé chez GEDmatch à la cellule investigation de Radio France. L’an dernier, près de 80 % des nouvelles personnes ayant téléchargé leur ADN ont choisi de devenir ce que nous appelons des “témoins génétiques” ». Certaines plateformes coopèrent ouvertement avec la police, tandis que d’autres restent plus réservées.
Pour en savoir plus : Derrière l’arrestation du violeur en série “le prédateur des bois”, une technique policière inédite et contestée

Source : Interview de M. Gérald Darmanin, Garde des Sceaux, ministre de la justice, à France Inter le 20 octobre 2025 Service d'information du Gouvernement, le 21 octobre 2025 ; How Many Cases Have Been Solved with Forensic Genetic Genealogy? March 03, 2023 Michelle Taylor Editor-in-Chief Forensic ; Erlich Y, Shor T, Pe'er I, Carmi S. Identity inference of genomic data using long-range familial searches. Science. 2018 Nov 9;362(6415):690-694.

Ecrit par : Hélène Joubert ; Édité par Emmanuel Ducreuzet