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La Fabrique 16/25 a ouvert à Nantes (Loire-Atlantique) en 2022 et fermera ses portes le 31 décembre 2025. Durant ces 3 années, elle a soutenu des jeunes de 16 à 25 ans, avec un objectif : les accompagner dans leurs démarches pour les aider à retrouver une place dans la société. Mais voici quelques semaines, faute de financement, l’annonce de la fin de ce dispositif piloté par la Direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (Dreets) des Pays de la Loire, est tombée. Les jeunes actuellement accompagnés vont, du jour au lendemain, vivre un nouvel abandon. Et ceux qui auraient pu être sortis de la rue grâce à cette structure unique dans le département, ne le seront pas. La fermeture de ce lieu pourtant précieux est l’occasion de mettre en lumière ces jeunes, au parcours de vie déjà si chaotique. 33 sont actuellement accompagnés, 70 au total l’ont été depuis 3 ans.
Qui sont ces jeunes ? Destination Santé a posé la question à Catherine Brossard, psychologue au centre Tréméac qui a reçu certains d’entre eux en consultation. « Il s’agit de jeunes dans des situations de grande précarité, sociale, économique et familiale. Nombre d’entre eux sont aux prises avec des troubles psychiatriques et des addictions parfois très sévères. Ces troubles psychiatriques génèrent d’autres difficultés d’ordre cognitif, relationnel et comportemental. La grande majorité de ces jeunes présente un tableau clinique de très grande souffrance. »
Lieu de violence permanente, la rue risque d’aggraver ce tableau. Selon les chiffres avancés par La Fabrique 16/25, 90 % de ces jeunes sont sans domicile fixe. « La rue est un lieu qui fait peur et qui fait mal, poursuit Catherine Brossard. Le fait d’être dans cet isolement social et relationnel engendre un repli et une mésestime de soi-même. Auxquels s’ajoutent l’incurie subie, les violences dirigées contre soi, contre les autres et une insécurité permanente, notamment pour les jeunes filles. Ces jeunes vivent dans l’ici et le maintenant car il est tout simplement impossible pour eux d’anticiper le lendemain. Ils sont dans une situation de survie permanente, alimentaire, matérielle et psychique. »
Dans ce contexte, un suivi psychiatrique est illusoire. Pour ces jeunes, « l’accès aux soins se fait très souvent par un passage à l’acte qui va déclencher une hospitalisation en psychiatrie. C’est une urgence qui mène ces jeunes vers le soin. Et il est très compliqué de commencer à traiter une personne qui, psychiquement, est en situation d’urgence et qui n’a plus de ressources pour tenir », explique Rosella Tritto, psychologue au centre éducatif Tréméac, qui accueille La Fabrique 16 – 25.
Durant 3 ans, ceux-ci ont pu compter sur ce dispositif et sur l’équipe d’éducateurs qui, pas à pas, a su construire un lien de confiance solide avec eux. Une vraie réussite alors que la grande majorité de ces très jeunes adultes ont vécu une succession d’abandons. « Cela génère une grande méfiance envers les autres : comment faire confiance alors qu’ils savent qu’ils vont à un moment ou à un autre se retrouver dans une nouvelle situation d’abandon. A La Fabrique, on avait le sentiment que certains commençaient à se relever et très brutalement on leur dit que ça s’arrête, c’est très violent, souligne Catherine Brossard. Sans compter qu’il y a un vrai risque de décompensation psychique : la sévérité de leurs troubles peut être majorée du fait de cette nouvelle rupture ».
« Notre mission première, au quotidien, est d’éviter toutes formes de rupture, de tenir ce fil tendu qu’est la relation éducative, redonner confiance, accompagner pour reconstruire, ouvrir le champ des possibles, maintenir un espace où chacun vient tel qu’il est, là où il en est », expliquait La Fabrique dans un communiqué. Ce que confirme Catherine Brossard. « La Fabrique est un lieu de ressource, de répit, où ces jeunes pouvaient se poser et où on portait un autre regard sur eux. C’était un lieu où on leur rendait une dignité humaine, on ne les voyait pas comme une personne assise à la sortie d’une boulangerie à faire la manche. On les accueillait comme ils étaient. La dignité humaine est un paramètre fondamental dans la construction de n’importe quel être humain ».
Actuellement, quelque 330 000 personnes vivent sans domicile fixe en France, un chiffre qui a doublé ces 10 dernières années. 40 % d’entre eux ont moins de 25 ans. Un dispositif tel que La Fabrique était parfois l’unique ressource pour ces jeunes trop âgés pour bénéficier de l’aide sociale à l’enfance. « La rue ne doit pas être une fatalité, on peut en sortir. Mais il faut un accompagnement solide, pérenne. Il y a une vraie question autour de la temporalité : il faut souvent un temps long pour sortir d’une telle précarité mais il faut que les accompagnateurs disposent de ce temps. Un jeune passé par La Fabrique, qui a traversé des moments très difficiles est aujourd’hui inscrit à l’université, à un logement, un job. Il y a des réussites ! Mais il faut du temps ! ».

Source : Communiqué de presse La Fabrique 16/25, interviews de Catherine Brossard et de Rosella Tritto

Ecrit par : Dorothée Duchemin – Edité par Emmanuel Ducreuzet