La médecine humaine ? Elle doit tant aux vétérinaires
19 mars 2012
La médecine vétérinaire en tant que telle, est née… en 1761. A cette époque Claude Bourgelat, en accord avec Louis XV, a fondé à Lyon, la première école au monde spécialement destinée à son enseignement. Viennent ensuite 150 ans d’une révolution permanente des connaissances. Le Pr Charles Pilet dresse pour nous, l’inventaire de tout ce que la médecine humaine doit à sa « petite sœur » vétérinaire. Ancien Président de l’Académie nationale de Médecine, membre de l’Académie des Sciences et lui-même vétérinaire, il revient sur une histoire peu connue, mais ô combien passionnante. Entretien.
Avocat de formation, Claude Bourgelat dirigeait depuis 1740, l’académie royale… d’équitation de Lyon. « C’était un homme passionné de cheval et c’est avec son ami Léonard Bertin, ministre de Louis XV, qu’il a créé en 1761 l’école vétérinaire de Lyon. Au départ, il souhaitait uniquement s’intéresser aux chevaux mais il avait reçu des instructions pour élargir le champ des connaissances ». La médecine vétérinaire était née.
Quatre ans plus tard en 1765, l’école vétérinaire d’Alfort était créée. Il y a eu ensuite l’école de Toulouse (1825) et plus récemment celle de Nantes (1979). Avec passion, Charles Pilet enchaîne les innombrables évolutions qui ont suivi au cours du 19e siècle. Des évolutions marquées par des divergences d’ordre philosophique, qui ont bouleversé notre manière de considérer la maladie. « Une grande partie de ce siècle a été dominée par les débats entre ‘spontanéistes’ et ‘spécifistes’, entre ‘non-contagiosistes’ et ‘contagiosistes’. Pour les uns, les maladies transmissibles apparaissent spontanément. Pour les autres notamment après les remarquables travaux de Pasteur qui ont prouvé l’inexistence de la génération spontanée, ces maladies ne peuvent provenir que d’un « virus » exogène ».
Pasteur et… les vétérinaires
Les débats furent âpres, à cette époque. C’est avec ironie et avec le recul de plus d’un siècle, que Charles Pilet nous explique que « certains médecins et vétérinaires pensaient que les maladies venaient des miasmes, ils étaient très sérieux ». Sourire aux lèvres, il aborde désormais l’œuvre essentiel de Louis Pasteur (1822-1895). « Pasteur a démontré qu’il fallait un élément extérieur pour que l’homme développe une maladie infectieuse due à un « virus » exogène. Et à partir de là, les vétérinaires ont pris une part très active (à la recherche) et ont trouvé des éléments à la notion de contagion. Ils ont contribué très largement au développement des idées de Pasteur ».
C’est ainsi que de nombreuses découvertes ont émané de vétérinaires rompus aux idées pastoriennes. « Gaston Ramon a créé en 1924 les anatoxines qui ont permis la mise au point des vaccins contre la diphtérie et le tétanos. Biologiste et vétérinaire, il a également démontré l’intérêt des vaccins associés et celui des substances stimulantes et adjuvantes de l’immunité. » Avec une certaine amertume, Charles Pilet regrette le manque de reconnaissance portée à ce vétérinaire. « Son œuvre scientifique particulièrement riche mériterait d’être mieux connue du grand public ».
Médecine humaine, médecine vétérinaire, même combat
Grippes, SRAS, virus du Nil occidental… Aujourd’hui 180 maladies animales transmissibles à l’homme sont recensées. Elles constituent ce que les spécialistes appellent les zoonoses. « Nous nous sommes très vite rendu compte qu’un grand nombre de maladies animales étaient transmissibles à l’homme. Les crises que nous venons de connaître sont très éclairantes. Crises de la vache folle, du SRAS, de la grippe aviaire et de la grippe A/H1N1… »
Charles Pilet s’affiche, à ce moment de l’entretien, comme un fervent militant du rapprochement des médecines humaines et vétérinaires. C’est d’ailleurs avec conviction qu’il poursuit son propos. « Il est évident que les deux médecines doivent se rejoindre, il n y a pas de séparation entre les deux. Et pourtant que constate-t-on ? En France, le ministère de la Santé s’occupe de l’homme, le ministère de l’Agriculture, des animaux. Dans le domaine de la recherche, c’est la même chose, l’INSERM s’intéresse à la médecine humaine, l’INRA travaille sur les animaux. Les deux filières sont pratiquement étanches. Des réformes seraient nécessaires que pour les deux professions puissent unir leurs efforts en faveur de la protection de la santé publique ».
Or en prenant l’exemple justement des dernières crises sanitaires, notre interlocuteur insiste sur la nécessité de travailler en commun. « Nous sommes obligés pour régler une crise comme celle liée à la grippe d’œuvrer dans le même sens. Heureusement au niveau européen et mondial, des progrès sont en train de se réaliser. Souhaitons qu’il le soit également au plan national ».