La phagothérapie : quand les virus soignent
12 novembre 2015
Bactériophage 3A de Staphylococcus aureus (Microscopie éléctronique ; coloration : acétate d’uranyl ; grossissement : x 92 400) ©H.W. Ackermann
Aujourd’hui, en cas d’infection bactérienne, la réponse du corps médical occidental se résume en un seul mot : antibiotiques. Mais leur utilisation à tort et à travers depuis des années a favorisé le phénomène l’antibiorésistance, notamment chez des patients souffrant d’infections à staphylocoque doré ou à streptocoque. Résultat, certains se trouvent dans une impasse thérapeutique. Autrement dit, plus aucun antibiotique ne les soigne. Et si leur salut venait de la phagothérapie, soit l’utilisation de virus bactériophages ?
Abandonnée par la médecine occidentale depuis plus de 40 ans, la phagothérapie repose sur l’action de virus méconnus. Les phages, présents dans l’environnement, sont capables de détruire certaines bactéries. « Pour chaque bactérie, il existe au moins un phage capable de l’éliminer », précise le Dr Olivier Patey, chef du service de médecine interne, maladies infectieuses et tropicales du Centre hospitalier de Villeneuve St Georges. Avec le Dr Alain Dublanchet, microbiologiste, il œuvre depuis une quinzaine d’années pour que la phagothérapie revienne en Europe de l’Ouest. En effet, rien qu’en France « énormément de patients pourraient bénéficier de ce traitement », insiste Olivier Patey. Or notre pays et les autres pays occidentaux l’ont intégralement abandonnée après Seconde Guerre mondiale au profit de l’antibiothérapie.
A l’inverse, cette méthode a continué d’être employée dans les pays de l’ancien bloc soviétique. Ainsi, une des plus importantes banques de phages se trouve à Tbilissi, en Géorgie. C’est dans ce pays que les médecins occidentaux se procurent parfois certains de ces virus pour soigner leurs malades. « Et certains patients se sont rendus sur place, mais cela pose de nombreux problèmes », indique l’infectiologue. En effet, « tous n’ont pas les moyens physiques et financiers de faire le voyage. En outre, la présence de tuberculose multi-résistante dans ce pays est un réel problème pour des patients souffrant d’infections. »
Une réglementation, des banques et des centres de référence
« Il n’y a ni autorisation de mise sur le marché (AMM), ni autorisation temporaire d’utilisation (ATU) en France… rien du tout », précise le Dr Patey. Un seul essai thérapeutique avec des phages vient tout juste d’être lancé en septembre 2015 chez des grands brûlés (Phagoburn). Pour ce travail, les phages ont été isolés en France. « Il est facile de les prélever dans l’environnement, par exemple dans l’eau de la Seine. Ensuite, il faut les purifier avant de pouvoir les utiliser », explique le spécialiste.
« Cette première étude est une bonne chose mais nous aimerions pouvoir utiliser ces bactériophages dans d’autres indications avec une ATU », souligne-t-il. « Nous aimerions aussi pouvoir rapporter des phages de Russie et de Géorgie, sous un contrôle strict, pour créer des banques de bactériophages qui pourraient être testés en urgence pour soigner telle ou telle infection. » De plus, grâce à ces bibliothèques de virus, d’autres études cliniques pourraient être menées. Malheureusement, les laboratoires pharmaceutiques ne s’intéressent pas à ce projet car les bactériophages ne sont pas brevetables, et donc pas rentables. « La volonté doit être politique et les Etats doivent s’investir. »
Par ailleurs, « la création de centres nationaux de référence doivent être une priorité pour mener les études scientifiques, tout comme la mise au point d’une réglementation adaptée », martèle-t-il. Les phages ne rentrent pas dans les critères européens de fabrication de médicaments. « Ce sont des biomédicaments, du vivant. Or en théorie, dans les médicaments on devrait avoir la même chose au départ et à la fin de fabrication », explique Olivier Patey. Mais « là ce sont des virus, ils vont se multiplier et il peut y avoir de toutes petites modifications en cours de production. » Pour contourner ce problème, « il faut adapter la réglementation aux phages », estime-t-il. Là encore, la volonté politique est nécessaire.
Les phages, avec modération
Microgen®©Dr Alain Dublanchet
Si les bactériophages constituent indéniablement une solution pour de nombreux patients, « il n’est pas question qu’ils remplacent les antibiotiques », rassure Olivier Patey. En théorie, ils pourraient certes être utilisés contre toutes les infections, mais dans les faits, cela demanderait un travail trop long et coûteux pour traiter une angine par exemple. En effet, « l’administration efficace de bactériophages nécessite un diagnostic précis de l’infection », détaille-t-il. « Non seulement il est essentiel de savoir quel espèce de bactérie cause l’infection, mais aussi quelle souche de celle-ci. » Pour utiliser des antibiotiques, pas besoin d’un diagnostic aussi précis ! Résultat, seules deux indications seraient essentielles pour les bactériophages. « Lutter contre les bactéries multi-résistantes pour lesquelles aucun antibiotique n’est disponible et, dans le cas où les antibiotiques ne parviennent pas à atteindre le site de l’infection. » Les infections de prothèses ou les ostéites chroniques sont autant de bons exemples.
Autre limite à l’usage des virus tueurs de bactéries : la protection de l’équilibre biologique de l’environnement. « Si on ne fait pas attention, il existe un risque théorique de modification écologique », note le Dr Patey. « Il faut éviter de commettre les mêmes erreurs qu’avec les antibiotiques. » L’usage intensif des bactériophages dans l’agroalimentaire et le traitement vétérinaire inquiète tout particulièrement le médecin. « Imaginez des bactériophages actifs sur des infections bactériennes dans des élevages de poules en batterie. Les virus pourraient migrer dans l’environnement en trop grandes quantités… »
Enfin, « les résistances aux bactériophages peuvent apparaître », souligne-t-il. « Il en existe d’ailleurs déjà. » Voilà pourquoi les partisans du retour de la phagothérapie sont loin de crier au miracle, mais appellent simplement les autorités à se pencher sérieusement et avec un esprit scientifique sur cette option thérapeutique réellement intéressante et porteuse d’espoir pour de nombreux patient sans solution à ce jour. Dans cette optique sera organisé le 19 novembre prochain un colloque ayant pour but de sensibiliser les autorités politiques à la question des phages.
-
Source : interview du Dr Olivier Patey, chef du service de médecine interne, maladies infectieuses et tropicales du CHG de Villeneuve St Georges, 4 novembre 2015 – Assemblée nationale, novembre 2015
-
Ecrit par : Dominique Salomon - Edité par : Vincent Roche