L’aluminium des vaccins : la polémique qui n’en finit pas
13 janvier 2014
Depuis plusieurs années, les sels d’aluminium présents en tant qu’adjuvant, dans les vaccins font l’objet d’un vif débat en France. Et seulement en France. Peuvent-ils être à l’origine de troubles cognitifs ? Sont-ils en cause dans la survenue d’une maladie appelée myofasciite à macrophages (MFM)? Ces questions sont soulevées par une équipe française dirigée par le Pr Romain Gherardi (CHU Henri Mondor – Paris). Celui-ci a exposé son travail mercredi 8 janvier dernier à l’Académie nationale de médecine. Une présentation qui a suscité de vives réactions…
Un adjuvant est un « produit que l’on ajoute à un autre pour en améliorer les caractéristiques » (Petit Larousse). Dans l’industrie pharmaceutique, ce type d’effet est très recherché pour la fabrication des vaccins. L’adjuvant est donc administré avant, ou en même temps que l’antigène afin d’en augmenter l’immunogénicité. C’est-à-dire sa capacité à susciter une réaction immunitaire.
Plusieurs substances sont employées à ce titre, dont les gels d’hydroxyde d’aluminium. « Ils sont utilisés dans les vaccins depuis 1926 » nous explique Pierre Bégué, membre de l’Académie nationale de médecine et spécialiste de la question. « Vous imaginez donc qu’ils ont été utilisés auprès de millions et de millions d’individus dans des vaccins qui ont sauvé des millions de vies. Et près d’un siècle plus tard, cet hydroxyde d’aluminium reste toujours l’adjuvant le plus efficace et le mieux toléré malgré toutes les recherches qui ont pu être conduites sur des produits apparus depuis ».
Myofasciite à macrophages ? En 1997, coup de théâtre : une équipe française dirigée par le Pr Romain Gherardi décrit pour la première fois des cas de myofasciite à macrophages – une lésion spécifique au niveau du point d’injection – chez de rares patients présentant des douleurs musculaires et articulaires ainsi qu’une fatigue. Les investigations révèlent la présence d’aluminium au sein de cette lésion, retrouvée principalement dans le muscle deltoïde. Cet aluminium a-t-il une origine vaccinale ?
Pour les autorités sanitaires, aucun lien de causalité n’a été clairement démontré entre la vaccination et les symptômes décrits. En 2004, une étude de l’AFSSaPS (ex-ANSM) avait conclu qu’ « aucun syndrome clinique spécifique n’est retrouvé associé à des vaccins contenant un adjuvant aluminique ».
Troubles cognitifs ? En 2009, nouveau rebondissement avec la même équipe qui fait état de la présence de troubles cognitifs chez des malades ayant une MFM. « L’hypothèse d’une atteinte neurologique due à l’aluminium n’a jamais été confirmée », précise le Pr Bégué. Lequel ajoute toutefois « qu’une étude récente conduite sur la souris a montré qu’une partie de l’aluminium injecté dans les muscles se retrouve dans le tissu cérébral. Mais dans des quantités infinitésimales, bien moins importantes que celles retrouvées sur les os et la rate. Pour l’heure, tout cela est totalement expérimental ».
Et dans la ‘vraie vie’ ? « Il est possible que certaines personnes n’éliminent pas l’aluminium, peut-être à cause de prédispositions génétiques », enchaîne le Pr Bégué. « Mais nous sommes-là sur des cas rarissimes qu’il convient encore une fois de mettre en rapport avec les millions de vaccinations effectuées depuis la fin des années 20 dans le monde. Et les millions de vies sauvées ».
Polémique franco-française. En juillet 2013, le Haut Conseil de la Santé publique (HCSP) a également publié un rapport sur ce sujet. Il y rappelait que « les publications concernant des séries de cas de myofasciite à macrophages de l’adulte proviennent d’une seule équipe dans le monde ». Or, la règle scientifique la plus élémentaire veut qu’une étude, pour être valable, soit reproductible. (…) « Les sels d’aluminium sont ajoutés aux antigènes vaccinaux depuis 1920 sans qu’aucun pays ou instance officielle n’ait jamais remis en cause le bien-fondé de cette adjonction, ni la sécurité des vaccins contenant cet adjuvant ». Conclusion : « les données scientifiques disponibles à ce jour ne permettent pas de remettre en cause la sécurité des vaccins contenant de l’aluminium, au regard de leur balance bénéfices/risques ».
Chef du service de neurologie au CHU de Limoges, le Pr Jean-Michel Vallat a également assisté à la présentation du Pr Gherardi, « que j’apprécie et dont je respecte le travail », tient-il à nous préciser. « Il n’empêche que je suis en désaccord avec lui sur certains points. En particulier sur la subjectivité des symptômes comme les douleurs musculaires, la fatigue et les troubles cognitifs qui rend leur appréciation difficile. Il ne s’agit en aucun cas de nier la souffrance des patients mais notre rôle est de quantifier les symptômes à leur juste valeur. C’est une vraie difficulté. Par ailleurs, une découverte telle que celle-ci ne peut pas reposer sur des travaux d’une seule équipe. C’est un biais évident ».
De son côté, le Pr André Aurengo, chef du service de médecine nucléaire à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris) évoque une « présentation brillante de résultats d’expérimentations biologiques. Mais, et c’est le problème, ces derniers sont ensuite reclassés artificiellement dans un contexte médical, avec des conclusions qui ne vont pas de soi. C’est une entorse au raisonnement scientifique ».
Remplacer l’aluminium ? Quant à la question de remplacer l’aluminium par d’autres adjuvants, elle est aussi posée. L’Académie y a d’ailleurs déjà répondu : « tout moratoire portant sur la non-utilisation des adjuvants aluminiques rendrait impossible, sans aucun argument probant, la majorité des vaccinations »…
Ecrit par : David Picot – Edité par : Vincent Roche
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Source : Interview du Pr Pierre Bégué, 10 janvier 2014 – Interview du Pr Jean-Michel Vallat, 13 janvier 2014 – Interview du Pr André Aurengo, 13 janvier 2014 - Académie de Médecine, 8 janvier 2014, Bio-persistance et distribution systémique des particules injectées par voie intra-musculaire : quelle incidence sur la tolérance à long terme des adjuvants aluminiques ? Par le Dr Romain, Gherardi – HCSP, 11 juillet 2013 - ANSM, 30 avril 2004 – Académie nationale de Médecine, Bull. Acad. Natle Méd., 2012, 196, no 6, 1177-1181, séance du 26 juin 2012 – Lancet. 1998 Aug 1;352(9125):347-52. –