Le binge watching, quand avaler des séries devient une addiction
12 décembre 2024
Un épisode, et puis un autre, et encore un autre… jusqu’au petit matin, en semaine, le week-end… difficile pour de nombreuses personnes de lutter contre la consommation intense et compulsive de séries TV, ou « binge wathing ». C’est grave Docteur ?
Le terme binge watching désigne le fait de regarder de manière excessive des séries ou des films, souvent en une seule séance prolongée.
Ce comportement consiste à consacrer un temps bien plus long que prévu au visionnage d’un programme, en particulier des séries comptant de nombreux épisodes et saisons. L’essor des connexions Internet illimitées, du streaming et des contenus accessibles à la demande a largement contribué à l’intensification de cette pratique. Pendant les confinements liés à la pandémie de Covid-19, ces marathons de visionnage ont souvent remplacé les sorties au cinéma. Leur consommation avait d’ailleurs augmenté de 20 % par rapport à l’année précédente.
Le binge watching n’a pas de définition universelle. Il est souvent décrit comme le visionnage de 2 à 6 épisodes d’un programme en une seule séance, dépassant trois heures consécutives. Certains considèrent qu’il commence dès qu’on regarde plus de 4 épisodes au cours d’une soirée.
Pourquoi les séries TV rendent-elle accro ?
Les séries les plus captivantes s’appuient généralement sur un fil narratif solide qui maintient une continuité d’un épisode à l’autre. Elles utilisent souvent des fins marquées par des rebondissements (cliffhangers), pour susciter l’envie immédiate de découvrir la suite. Les adeptes du binge watching s’immergent profondément dans l’univers de la série, développant une connexion intense, presque fusionnelle, avec l’histoire et certains personnages.
Dans un article « Fans de séries : addiction ou prise de contrôle ? » Dina Rasolofoarison, chercheuse au Dauphine Recherches en Management, et Stéphanie Feiereisen, professeure associée à Montpellier Business School écrivaient en 2021 que « de nombreux amateurs de séries aiment s’immerger totalement dans une histoire et veulent être transportés dans un autre monde (…). Et le phénomène de binge watching dont les effets négatifs sont certes évoqués (impression de boulimie ou d’indigestion suivie du regret de ne pas avoir arrêté plus tôt), s’inscrit bien souvent dans ce contexte. Un amateur de House of Cards raconte par exemple avoir regardé une saison entière en un week-end pour certes connaître le fin mot de l’histoire, mais surtout pour pouvoir ‘rester dans l’atmosphère’. »
Quel type de binge watcher êtes-vous ?
Le Pr Laurent Karila, psychiatre à l’hôpital Paul-Brousse (Villejuif) et auteur du livre « Docteur : addict ou pas ? » (2024) a « profilé » 3 catégories de binge watchers :
– Le binge watcher “très rapide” termine une saison en quelques jours, avec des sessions de 3 à 4 épisodes (environ 2 h 30 par jour). Il privilégie les séries d’horreur, de science-fiction ou de thrillers, sans que cela soit quotidien.
– Le binge watcher “rapide” termine une saison en cinq jours, passant environ 2 heures par jour devant un écran. Il préfère les comédies dramatiques, les séries de super-héros ou celles centrées sur le milieu du crime.
– Le binge watcher “assez lent” termine une saison en presque une semaine, regardant environ 1 h 45 à chaque session. Il privilégie les séries politiques, comiques ou historiques.
Pourquoi certains d’entre-nous binge watchent-ils ?
Le binge watching est souvent motivé par le désir de créer des liens sociaux, de faire partie d’un groupe, se sentir accepté, ou même pour éviter d’être exclu des conversations. La peur de manquer des informations pousse aussi certains à regarder rapidement pour éviter les spoilers. Mais d’autres y voient une forme de gratification immédiate, un moyen de s’évader du stress, de leurs soucis, et de se détendre.
De plus, les binge watchers « ont souvent une forte empathie fantastique, analyse le psychiatre, ressentant les émotions des personnages fictifs, ce qui influence leur identification et l’évolution de l’intrigue. » Ils possèdent d’importantes capacités de concentration et de mobilisation intellectuelle.
Une addiction comportementale
La majorité des personnes « binge watchent » seules, et plus de 70 % perdent le contrôle du nombre d’épisodes initialement prévu. Le spécialiste prévient : « celles qui ressentent une gratification négative (une gratification peut en effet ne pas forcément être positive, ndlr) et de l’anxiété après une séance sont plus susceptibles de devenir dépendantes, cherchant à se ‘soulager’ par les séries, comme un addict à la cocaïne. » Sans aucun apaisement pour autant.
Le binge watching excessif présente des similitudes avec une addiction comportementale, affirme Laurent Karila, qui en liste les caractéristiques : « perte de contrôle, urgence à regarder, regrets ou culpabilité, négligence des obligations personnelles, conséquences sociales et sanitaires négatives, mensonges, et symptômes de sevrage comme l’anxiété, la nervosité, la colère, voire la rage, ainsi que des difficultés de concentration et d’attention. »
Est-ce que c’est grave ?
Les conséquences négatives du binge watching « touchent surtout les personnes vulnérables, comme les enfants, les adolescents et les binge watchers excessifs », explique le psychiatre. Elles sont principalement psychologiques : stress, anxiété, troubles du sommeil, comportements alimentaires désorganisés entraînant prise de poids et sédentarité. L’impulsivité, la perte de contrôle, l’isolement, la solitude et la fatigue sont fréquents. La dépression post-binge watching est une réalité.
Pour savoir si vous êtes un “binge watcher” excessif avec des conséquences importantes dans votre vie, il faut cocher « oui » à chacun des 6 critères :
– Tolérance : il faut augmenter le temps de visionnage pour obtenir les mêmes effets que les premières fois.
– Rechute : après une pause, on retombe rapidement dans un cycle de binge watching.
– Importance : le binge watching devient l’activité centrale de la vie.
– Conflit : cette activité nuit à la vie personnelle, professionnelle et sociale.
– Humeur : on binge watch pour échapper à des émotions négatives et améliorer son humeur à court terme.
– Envie par manque : l’incapacité de binge watcher crée un fort sentiment de manque.
Conseils pour modérer le binge watching
Le Pr Karila suggère de fixer un nombre d’épisodes et une durée de visionnage à l’avance, de résister aux cliffhangers, de faire des pauses et discuter avec votre entourage, d’éviter de grignoter, de perturber son sommeil et de commenter sur les réseaux sociaux pendant les épisodes. Si ce comportement devient un moyen de fuir des émotions négatives, il faudrait consulter un professionnel, pour traiter le problème sous-jacent.
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Source : Baromètre Hadopi « Consommation de biens culturels dématérialisés en situation de confinement » de mai 2020, 51 % des Français interrogés âgés de 15 ans et plus ont regardé des séries sur Internet lors de la 8e semaine de confinement alors qu’ils étaient 42 % en mai 2019 ; « Docteur : addict ou pas ? » par le Pr Laurent Karila, éditions Harper Collins, janvier 2024/608 pages ; Sondage Médiamétrie réalisé en décembre 2016 sur un panel représentatif de 1 424 personnes en France.
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Ecrit par : Hélène Joubert ; Édité par Emmanuel Ducreuzet