Piéger les mutations génétiques rares grâce au territoire
20 novembre 2014
Christian Dina (Institut du Thorax), docteur en épidémiologie génétique et ingénieur en biostatitsique
Une équipe nantaise de l’Institut du Thorax conduit une étude originale combinant à la fois génétique et territoire. Elle confirme que notre ADN porte des stigmates de notre origine géographique. Un travail d’importance susceptible d’aider les scientifiques à identifier des mutations génétiques rares, y compris – et c’est la nouveauté – à une échelle très fine. D’un village par exemple. Illustration dans le grand Ouest avec le projet VaCaRMe (Vaincre les maladies Cardiovasculaires, Respiratoires et Métaboliques).
L’histoire a démarré au début des années 2000 au CHU de Nantes. Lors d’un examen, une patiente atteinte de rétrécissement aortique calcifié déclare par hasard au Pr Hervé Le Marec, cardiologue (et aujourd’hui Directeur de l’Institut du Thorax), que « c’était la maladie de la famille ». Le médecin interroge plus longuement sa patiente sur l’origine et la composition de la famille. Il reprend par ailleurs l’ensemble des dossiers cliniques du CHU afin de retrouver les autres malades issus du même village : Pont-Saint-Martin, 5 500 habitants au sud de Nantes. « C’est ainsi que la première grande famille de rétrécissement aortique fut découverte », nous explique Stéphanie Chatel, chef de projet VaCaRMe.
Le travail de généalogie a permis de regrouper 450 personnes, liées à un ancêtre commun du XVIIe siècle. L’analyse de cette « méga famille a fait apparaître une prévalence élevée de rétrécissements aortiques calcifiés », poursuit Christian Dina, docteur en épidémiologie génétique. Pour l’heure, 48 habitants ont donc été identifiés avec cette pathologie. « Ces personnes sont apparentées par cet ancêtre commun, laissant soupçonner l’existence d’une mutation qui se serait répandue à la faveur de mariages de proximité. Et ce dans un contexte de mouvements restreints de populations à travers le temps ».
ADN et lieu de naissance se rencontrent…
Pour vérifier cette proximité entre le génome et le lieu de naissance, les scientifiques ont analysé l’ADN de 1680 personnes incluses dans deux cohortes du grand Ouest. Publié dans le European Journal of Human Genetics, ce travail confirme « qu’il existe un lien entre ADN et lieu de naissance », analyse Christian Dina. « Il est par exemple plus fort dans le Finistère, département assez stable démographiquement, ou dans le nord de la Vendée ».
La preuve de concept étant établie, les chercheurs se concentrent désormais sur des zones géographiques avec une forte concentration de maladies cardiovasculaires, respiratoires ou métaboliques, dans le but de « piéger » (dixit Christian Dina) des mutations génétiques rares associées à des maladies chroniques. « Des anomalies rares donc mais avec un effet très fort », ajoute le chercheur. « C’est-à-dire que les risques de développer telle ou telle maladie sont très élevés chez les patients porteurs ».
La médecine de demain
Les scientifiques nantais constituent pour cela, une base de données associée à une bio-collection d’ADN issue de 5 000 personnes en bonne santé et originaires des Pays-de-la-Loire. « Nous avons noué un partenariat avec l’Etablissement français du Sang (EFS) », enchaîne Stéphanie Chatel. « L’EFS organise des collectes de sang partout dans la région et nous donne ainsi la possibilité de recruter ces personnes. Le critère principal est d’avoir 4 grands-parents nés dans un rayon de 30 km ». Le succès est au rendez-vous. Plus de 2 000 personnes ont été incluses dans ce projet depuis février dernier. Il en reste donc 3 000 à trouver d’ici fin 2015 pour constituer la cohorte.
A l’avenir, la base de données servira de groupe-témoin pour des études scientifiques. « A terme », précise Christian Dina, « l’objectif est d’identifier des gènes et ainsi les mécanismes impliqués dans les maladies dégénératives fréquentes. Les résultats dépasseront donc le simple cadre de la population régionale. » Avec des perspectives potentiellement intéressantes pour le développement d’outils (médicaments, tests de dépistage…) en matière de médecine préventive, prédictive ou personnalisée. Bref, VaCaRMe n’a pas fini de faire du bruit.
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Source : Interview de Stéphanie Chatel et de Christian Dina, 29 octobre
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Ecrit par : David Picot – Edité par : Emmanuel Ducreuzet