Plainte contre Meta aux Etats-Unis pour « manipulation des jeunes utilisateurs »
30 octobre 2023
Meta, l’empire de Mark Zuckerberg et maison mère de Facebook et Instagram, est accusé par une quarantaine d’Etats américains de nuire à la santé physique et mentale des enfants. Pour les plaignants, Meta a mis en place des outils, dissimulés aux utilisateurs, visant à créer un usage addictif des plateformes chez les plus jeunes. Explications avec Michel Desmurget, directeur de recherche en neurosciences à l’Inserm.
Quels sont les risques des réseaux sociaux sur la santé mentale des enfants ?
Michel Desmurget : Les risques établis sont la dépression et l’anxiété. Des données plus éparses mais tout de même convaincantes font état de risques suicidaires. On relève aussi des risques du comportement alimentaire, de l’image et de l’estime de soi, également bien documentés. L’altération du sommeil et les contenus des réseaux sociaux expliquent en partie ces effets. Chez les adolescentes, notamment, sans cesse confrontées à des images de femmes minces voire maigres, elles finissent réellement par penser que c’est la norme sans réaliser que ces gens sont hors normes et représentent une fraction infime de la population. Au bout du compte, on observe des effets importants sur la réussite scolaire.
Concrètement, comment les réseaux sociaux impactent-ils le sommeil ?
Le sommeil est impacté de deux façons différentes. D’abord par le fait que les ados et jeunes ados dorment à côté de leur téléphone pour recevoir les notifications. Ils consultent leur téléphone, y compris la nuit. En outre, les contenus visionnés avant de dormir jouent aussi un rôle. Les échanges sont parfois brutaux, les informations violentes. Les images peuvent être stressantes et anxiogènes. Ainsi, l’environnement n’étant pas suffisamment sécurisé, le système qui régule le sommeil reste en alerte au cas où il se passerait quelque chose.
Dans la plainte, Facebook et Instagram sont accusés de « manipuler les jeunes utilisateurs, afin de les inciter à utiliser les plates-formes de manière compulsive et prolongée ». Comment ?
En 2017, Chamath Palihapitiya (vice-président chez Facebook de 2007- 2011, ndlr), expliquait qu’il était hors de question que ses gamins utilisent « cette merde ». Il pointait notamment la toute-puissance du like. Le like s’attaque aux failles et aux faiblesses les plus intimes de notre organisation cérébrale et influe sur le système de récompense. Trouver de l’information et vérifier une information active le système de récompense sous forme de shot de dopamine. Les réseaux sociaux font en sorte que l’utilisateur aille sans arrêt vérifier s’il y a une nouvelle information. Les réseaux sociaux jouent là-dessus, construisant cette compulsion à vérifier. C’est une part de l’addiction.
Et l’autre part ?
Les interactions sociales positives activent également le système de récompense. Quand une personne vous donne un like ou dit un mot sympa sur vous, c’est un shot de dopamine. Le cerveau des ados n’est pas mature et pas fini au sens physiologique du terme. Ils n’ont pas les outils pour se défendre de cette incitation permanente. Alors que c’est déjà difficile pour les adultes. Les enfants qui vont sans cesse vérifier les likes et les informations, subissent un dérèglement du système de récompense. Ils deviennent hyper-sensibles – un ado y étant déjà plus sensible qu’un adulte – aux opinions que les autres ont d’eux et aux likes (ou commentaires négatifs) qu’on leur donne. C’est la porte d’entrée dans l’addiction, mais aussi l’anxiété et le stress chronique. Le système de récompense étant une pierre angulaire de notre fonctionnement mental et social, les dommages sont conséquents pour la santé.
Cela ressemble à un scandale sanitaire comme celui du tabac et les procès à la fin des années 90 contre les cigarettiers.
Ce sont exactement les mêmes enjeux. Des lanceurs d’alerte tirent le signal d’alarme, on les ignore ou on les tourne en ridicule. Mais les données sur l’impact pour la santé augmentent et deviennent de plus en plus difficiles à nier. La justice finit par s’en mêler. Ce fut aussi le cas pour le tabac. Dans le cas présent, il faut espérer que les documents internes soient déclassifiés comme pour le tabac (Master Settlement agreement 1997, ndlr).
Que peuvent-faire les parents, à leur échelle, contre ce fléau ?
Déjà, il faut informer honnêtement les parents sur les risques liés à l’utilisation des réseaux sociaux. Il semble également important de faire respecter les règles : les réseaux sociaux ne sont pas accessibles avant 13 ans et un justificatif de l’accord parental doit être désormais fourni avant 15 ans. Il faut limiter le temps d’accès et respecter les âges. Il est nécessaire que les parents posent les règles et les expliquent, sinon elles n’auront pas d’effet. Mais il faut surtout que le législateur prenne sa part de responsabilité. Ces réseaux utilisent des outils, hyper-addictifs, sur des enfants qui n’ont pas la maturation cérébrale pour s’en défendre. Pour les parents seuls, la tâche est souvent trop rude.
Pensez-vous que cette plainte aux Etats-Unis aboutira à des mesures efficaces ?
Taïwan ou la Corée-du-Sud ont pris des mesures législatives pour protéger les enfants, Taïwan parle d’une maltraitance faite à l’enfant. « Meta a exploité des technologies puissantes et sans précédent pour attirer […] et finalement piéger les jeunes et les adolescents afin de faire des profits », note la plainte après deux ans d’enquête. C’est très fort. Les dommages sont considérables, destructeurs, sur la santé physique et morale des enfants et il faut agir. Les parents seuls ne le peuvent pas. C’est une bonne chose que les procureurs américains s’en saisissent, peut-être réussira-t-on à obtenir des mesures dignes de ce nom pour protéger les enfants d’une épidémie qui se dessine depuis plusieurs années.
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Source : interview Michel Desmurget, lundi 30 octobre 2023
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Ecrit par : Dorothée Duchemin – Edité par Emmanuel Ducreuzet