Prison : la santé psychiatrique à la peine
05 avril 2016
Sur les 198 prisons en France, seules 26 sont dotées d’un SMPR (service médico-psychologique régional). Anki Hoglund/shutterstock.com
Peu de lumière, pas de stimulation, aucun contact avec le monde extérieur, la vie entre les murs prive les détenus d’un droit fondamental. Celui de bénéficier de conditions de vie dignes, garantes d’une bonne santé physique et mentale. Dans un rapport publié ce mardi 5 avril, Human Rights Watch pointe à nouveau du doigt l’incidence inquiétante (et déjà relayée) des troubles psychiatriques en milieu carcéral en France.
« J’étais en dépression et je ne sortais plus de ma cellule. Je ne prenais que des médicaments et je dormais. […]Pendant six mois […] je n’ai pas vu la lumière du jour. […] Je ne sortais jamais, je n’ai vu ni médecin ni psychiatre». C’est en ces termes édifiants que Sarah, détenue, s’exprime au sujet de sa santé mentale dans le rapport « Double peine ».
Publié par l’ONG Human Rights Watch, ce travail rappelle la fragilité accrue des détenus atteints de troubles psychiatriques. L’étude la plus complète en la matière date de 2004. A l’époque, un quart des prisonniers présentait des symptômes de type psychotique. Au total, 8% des hommes et 15% des femmes étaient diagnostiqués pour une schizophrénie. Selon une étude menée entre 2006 et 2009, les détenu(e)s souffrant d’un trouble psychiatrique sont 7 fois plus exposés au risque de suicide comparés à la population générale.
La loi évolue
Selon les auteurs du rapport, l’incidence des troubles psychiatriques s’explique par l’incarcération de personnes malades. En cause, la mauvaise application d’une loi votée en 1994. Cette dernière instaurait « l’altération du discernement (…) comme circonstance atténuante ». Mais « dans la pratique, [la justice] a eu tendance à considérer les prévenus présentant des troubles psychiques comme des personnes plus dangereuses que les autres », plutôt que de prendre en compte le profil pathologique.
Résultat, des peines plus sévères et parfois inadaptées. Pour « rendre les sanctions pénales plus individualisées et plus adaptées aux circonstances du prévenu », la loi a été modifiée en août 2014. Aujourd’hui, un prévenu atteint d’un trouble psychique au moment de ces actes répréhensibles doit bénéficier d’une réduction d’un tiers de sa peine initiale.
Mais les inégalités perdurent
D’autres failles fragilisent la prise en charge des détenus atteints de maladies psychiatriques :
- Une forte disparité entre établissements. L’accès aux soins diffère entre les 188 prisons françaises. La pénurie de psychiatres et d’infirmiers est encore trop fréquente. « Les consultations de détenus auprès du personnel spécialisé dans la santé mentale sont souvent brèves et limitées à la prescription de médicaments » ;
- Une différence homme-femme. En France, seul 1 des 26 services médico-psychologiques régionaux (SMPR) intégrés dans les prisons accueillent des femmes.
Des soins insuffisants ou inadaptés
sfam photo/shutterstock.com
Autre point dénoncé dans le rapport « Double peine », « la localisation de certaines prisons complique l’accès au personnel médical (…) », expliquent les auteurs. Et lorsque des soins intensifs deviennent indispensables, la prise en charge se traduit souvent par un isolement, « non pas du fait de leurs besoins médicaux ou de leur comportement », pointent les auteurs du rapport. « Mais parce qu’ils sont des détenus et que les hôpitaux psychiatriques ne disposent pas d’ailes sécurisées qui permettraient à ces détenus d’être traités dans un environnement moins dur ».
Certes, les patients peuvent parfois être accueillis dans l’une des sept unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA). Des hôpitaux comptant 40 à 60 lits dédiés à la prise en charge des malades détenus. Mais à l’heure de la rédaction du rapport, « toutes les prisons françaises ne se trouvaient pas dans le périmètre géographique d’une UHSA ».
Comment s’en sortir ?
Pour les professionnels et les détenus interrogés*, cette situation ne devrait pas s’améliorer. Ces conditions sont dénoncées depuis des années aux autorités, mais « les gouvernements français successifs ne sont pas parvenus à les résoudre ». Pour pallier cette problématique, « l’État français doit mettre à disposition les ressources nécessaires à des soins de santé mentale de qualité (…) indépendamment de leur lieu de détention et de leur sexe ».
Les auteurs proposent plusieurs pistes au ministère en charge de la Santé pour lutter contre la pénurie de professionnels de santé dans le milieu pénitencier : l’amélioration des conditions de travail, l’inclusion des professionnels dans les débats et le déploiement des services médico-psychologiques régionaux (SMPR).
*des directeurs de prison, des psychiatres, le contrôleur général des lieux de privation de liberté, des fonctionnaires et des détenus rencontrés entre janvier et juillet 2015 dans 8 prisons de France : le centre pénitentiaire Sud Francilien de Réau, les maisons d’arrêt de Nanterre et de Marseille, la maison centrale de Poissy, le centre pénitentiaire pour femmes de Rennes, la maison d’arrêt de Fresnes, le centre pénitentiaire de Rennes-Vezin et le centre pénitentiaire de Château-Thierry.
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Source : Human Rights Watch, le 4 avril 2016
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Ecrit par : Laura Bourgault : Edité par : Emmanuel Ducreuzet