Incendie dans l’Aude : quels risques psychologiques pour les pompiers ?

08 août 2025

Vendredi 8 août, près de 1 000 pompiers sont toujours mobilisés pour venir à bout de l’incendie dans l’Aude qui est d’ores et déjà présenté comme un feu historique. 17 000 hectares ont été parcourus en moins de 3 jours. Une femme a trouvé la mort, les dégâts sont considérables et certains sinistrés ont perdu tout ce qu’ils possédaient. Les pompiers luttent contre ce feu gigantesque depuis le 5 août. Comment gérer une telle fatigue, un tel stress et l’exposition au danger, qui n’est jamais loin en pareille situation ? On a posé la question à Sophie Haras, psychologue, coordinatrice de l’Unité de soutien psychologique du Service départemental d’incendie et de secours de Haute-Garonne (SDIS31).

Qu’est-ce qu’une unité de soutien psychologique (USP)?

Sophie Haras : Ce sont des cellules de soutien psychologique à destination des agents des services départementaux d’incendie et de secours pour les professionnels, volontaires, personnels administratifs et techniques. Il faut savoir que tous les SDIS n’ont pas d’USP et tous les agents ne bénéficient donc pas de cette possibilité de bénéficier d’un soutien psychologique. Mais on peut dire que l’ensemble des SDIS du Sud en ont une.

Nos trois grandes missions sont la prévention primaire (formation), secondaire (astreinte, déclenchement d’urgence pour une prise en charge immédiate à la suite d’une exposition à des événement potentiellement traumatisantes) et tertiaire (le soutien et l’accompagnement des agents).

Nous disposons d’une astreinte psychologique disponible 24h/24, 7j//7. Les agents savent qu’ils peuvent contacter cette cellule à tout moment et l’accent est mis auprès de l’autorité hiérarchique sur les situations à risque comme les interventions auprès des enfants et les agressions urbaines notamment.

Concernant le feu dans l’Aude, quels sont les risques pour les pompiers ?

Le risque premier est le risque pour la santé physique (l’exposition aux fumées, les kilomètres parcourus sur des sentiers chaotiques, la fatigabilité qui s’installe car le feu de forêt est particulièrement épuisant). Concernant l’aspect psychologique, il y a deux temporalités. La temporalité d’urgence avec, comme c’est le cas pour nos agents qui sont partis dans l’Aude, la possibilité de discuter avec un psychologue immédiatement et la mise en place d’un accompagnement si nécessaire. On revoit les agents à un mois, pour évaluer le risque de stress post-traumatique.

“Ils sont exposés de manière quotidienne à la détresse, à la souffrance, à la mort et leurs protections individuelles s’érodent, s’effritent.”

Un feu d’ampleur exceptionnel comme celui-ci laissera-t-il plus de traces que d’autres ?

On n’a pas vraiment de recul sur ce genre de situation. On peut comparer avec les incendies de Gironde en 2022 et il n’en est pas ressorti de difficultés particulières par rapport à d’autres feux de forêt. Là, le risque principal, c’est l’épuisement physique qui derrière va forcément entraîner une gestion du stress qui va être inadaptée, dysfonctionnelle ou appauvrie, et qui peut amener à une perturbation psychologique. Le corps lâche donc forcément l’esprit, à un moment donné, peut lâcher. Les autres risques psychologiques sont liés aux traumatismes : blessures, décès, accidents graves. Une personne est malheureusement décédée dans ce feu ; on sait que la découverte d’un corps et les conditions de cette découverte sont de nature à créer des dommages psychiques.

Et à plus long terme, quels sont les risques ?

Avec ce feu, et les autres, à beaucoup plus long terme, on pourra voir apparaître une éco-anxiété liée aux changements climatiques. Et cela commence à émaner ces dernières années chez nos agents. La transformation de paysage, qui plus est que l’on connaît puisque l’Aude est à côté de chez nous, peuvent impacter la santé mentale.

A long terme, une usure de compassion, parfois appelée fatigue compassionnelle peut s’installer. C’est un trouble qu’on retrouve fréquemment chez les sapeurs-pompiers. Ils sont exposés de manière quotidienne à la détresse, à la souffrance, à la mort (tout comme les professionnels de santé de façon plus large, les psychologues, les médecins, les infirmiers, les travailleurs sociaux) et leurs protections individuelles s’érodent, s’effritent. C’est pourquoi ils finissent par être atteints très personnellement par cette souffrance.

“Aller au feu, c’est ce pour quoi ils se sont engagés. Ils retrouvent dans ces situations un vrai intérêt à leur mission de sapeur-pompier qu’ils ont tendance à perdre dans leur quotidien.”

Quels sont les facteurs de risques pour la santé mentale spécifique aux pompiers ?

Concernant ce feu, c’est vraiment leur capacité à récupérer. La fatigue, le travail dans des conditions difficiles, le logement, les repas, la rupture avec les habitudes… Au même titre qu’ils vont reconditionner leur camion à chaque fin de mission, comment eux vont se reconditionner ? Le changement profond des habitudes constitue un facteur de risque. S’adapter à ces nouvelles conditions dépendra des ressources de chacun. D’autant plus que leurs ressources habituelles pour gérer le stress ne sont plus forcément à disposition, quand ils partent en déplacement dans un autre département.

Plus largement, le stress, l’épuisement physique sont les principaux facteurs de risque. Le travail de nuit impacte très largement leur santé globale, physique et mentale. Leur cycle de sommeil est totalement déréglé au bout de 10 – 15 ans, ils ne parviennent plus à récupérer… De nombreux pompiers subissent aussi la perte de sens dans leur métier. Ils sont généralement pompiers pour assurer le secours à la personne en danger, parfois en danger vitale, mais ils sont face à une population en grande difficulté sociale. C’est d’ailleurs pourquoi ce genre de feu peut entraîner des conséquences positives.

C’est-à-dire ?

Disons qu’aller au feu, c’est ce pour quoi ils se sont engagés. Ils retrouvent dans ces situations un vrai intérêt à leur mission de sapeur-pompier qu’ils ont tendance à perdre dans leur quotidien. Le collectif est très important dans notre travail. Ils partent entre collègues pour lutter contre un même feu, ce qui en réalité n’occupe plus une très grande part dans nos missions. On retrouve cet aspect positif de valorisation, de reconnaissance, qui leur manque parfois. On parle beaucoup des pompiers actuellement mais l’exposition au danger est quasi-similaire le reste de l’année. Aujourd’hui les sapeurs-pompiers courent moins de risques d’être blessés dans un feu de forêt comme celui de l’Aude que celui d’être agressés notamment en agglomération.

“Quand un pompier est aligné sur une colonne feux de forêt, mais qu’il va profiter de son heure de repos pour faire une séance de sport, il n’y plus de lucidité.”

Et le fait d’être perçus comme des super-héros par les enfants, ce côté surhomme qu’on leur attribue parfois, n’est-ce pas de nature à les empêcher de demander de l’aide psychologique ?

Forcément. On est dans un milieu parfois rigide, très masculin, où il n’est pas toujours simple de pointer des vulnérabilités et des faiblesses. Mais les choses vont vraiment dans le bon sens ces dernières années, notamment avec la création des unités de soins psychologiques. Les agents ont de moins en moins de difficultés à saisir la possibilité de demander de l’aide et d’être accompagnés. Les risques liés au métier de sapeurs-pompiers sont prouvés, documentés et ne sont plus remis en question. On connaît le risque suicidaire, les risques liés au stress post-traumatique, à l’usure de compassion, à l’épuisement professionnel. Cela simplifie la démarche.

Les conduites addictives sont particulièrement présentes chez les sapeurs-pompiers ?

On retrouve des troubles dépressifs, des troubles d’épuisement professionnel et oui, les troubles addictifs représentent un véritable fléau chez les sapeurs-pompiers, liés à l’exposition au stress, au traumatisme mais aussi au travail de nuit. C’est un moyen inadapté et dysfonctionnel que les agents trouvent pour réguler leur sommeil et les troubles de l’humeur. Plus étonnant pour le grand public, l’addiction au sport, ce qu’on appelle la bigorexie, est extrêmement fréquente dans nos rangs. Quand un pompier est aligné sur une colonne feux de forêt, mais qu’il va profiter de son heure de repos pour faire une séance, il n’y plus de lucidité là-dedans et il s’agit d’un trouble.

Maintenant que les psychologues ont été acceptés, quels sont vos objectifs ?

On met le paquet maintenant sur la prévention. Le risque d’être confronté à un événement de nature à créer une fracture psychologique au cours d’une carrière, n’est pas de 100 % mais presque, donc comment se protéger ? La présence de psy permet désormais un soutien dès l’hémorragie, donc la personne ne se vide plus de son sang pendant des années comme c’était le cas il y a encore une dizaine d’années. Aujourd’hui on travaille à assurer une carrière saine à ces pompiers qui vont le rester durant 40 – 45 ans ! Le psychologue est là pour accompagner en cas d’événements douloureux, mais aussi quand tout va bien. Objectif : galvaniser les facteurs de protection des pompiers pour qu’ils aient les ressources nécessaires en cas de risques. C’est une préparation en amont et cela modifie le regard que porte les agents sur les psychologues.

  • Source : Interview de Sophie HARAS Psychologue - Coordinatrice de l'Unité de soutien psychologique au SDIS31

  • Ecrit par : Dorothée Duchemin – Edité par Emmanuel Ducreuzet

Destination Santé
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