Réticence à la vaccination : les élites en question
23 avril 2014
Le médecin généraliste, en première ligne pour convaincre les parents de l’intérêt de la vaccination. ©Phovoir
Hépatite B, grippe, rougeole et récemment encore cancer du col de l’utérus… Depuis quelques années en France, les polémiques sur les vaccins se succèdent. Pourquoi ces réticences ? Comment redonner confiance aux « vaccino-sceptiques » ? Pourquoi ont-ils plus d’audience chez nous que dans les autres pays ? Les réponses de Jocelyn Raude, sociologue, enseignant-chercheur à l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP). Il travaille depuis plusieurs années sur le sujet.
Déjà au XIXè… « Les mouvements anti-vaccination ont toujours existé », nous explique-t-il. « Ils ont émergé avec le rejet de la vaccine d’Edward Jenner, fin XVIIIe, début XIXe, dans les milieux aristocratiques anglais ». D’une manière générale, « les raisons (de cette opposition) étaient d’ordre éthique ou religieux », poursuit-il. « Une autre idée revenait souvent, selon laquelle il (serait) inutile et dangereux d’intervenir dans l’ordre naturel des choses. Et surtout (recommandant de) laisser l’organisme répondre aux menaces, sans recourir à des substrats issus du monde animal ».
La vaccination, d’abord acceptée grâce à son efficacité… Au fil du XXè siècle, la voix des ligues anti-vaccinales va perdre son audience et devenir quasiment inaudible. « La vaccination sera sauvée par son efficacité manifeste », enchaîne Jocelyn Raude. « Le public mesure bien que les maladies contre lesquelles on peut vacciner comme la variole ou la poliomyélite, disparaissent quasiment » de la surface du globe.
Confirmation par les chiffres : pour l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), au cours du XXè siècle, la vaccination a sauvé 2 millions de vies par an ! Grâce à elle, la variole a disparu de la planète en 1980. Quant à la poliomyélite, le nombre de cas a diminué de plus de 99% depuis 1988, passant de 350 000 à seulement 406 dans le monde, en 2013 !
…puis victime de son succès. Depuis le début des années 90 toutefois, les mouvements anti-vaccinaux se font de nouveau entendre. Grâce notamment, à la puissance d’Internet et des réseaux sociaux. Pour Jocelyn Raude, la raison en est toute simple : « la vaccination est victime de son succès. Auparavant, on acceptait d’autant plus de se faire vacciner qu’on pouvait clairement identifier les menaces infectieuses comme la variole, la polio, la diphtérie, le tétanos … Aujourd’hui ce n’est plus le cas ». Pourtant si la variole a bel et bien disparu, la diphtérie et le tétanos sont encore endémiques dans bien des pays et la polio « flambe » à nouveau dès que l’effort vaccinal se relâche. Ainsi est-elle aujourd’hui présente aux portes de l’Europe. Quant à la rougeole, elle tue encore chez nous…
Pas de spécificité française. En revanche, il tient à tordre le cou à une idée reçue : « les Français ne sont pas plus réticents que d’autres en matière de vaccinations. Dans des pays comme les Etats-Unis, le Royaume-Uni ou l’Allemagne, nous avons observé le même type de controverses que chez nous. Mais pas sur les mêmes vaccinations »… Aux Etats-Unis par exemple,c’est la présence de mercure dans les vaccins qui a fait la «’Une’ en 1999. En Grande-Bretagne, une vaste manipulation de l’opinion publique a été lancée pour accréditer l’idée (fausse) d’un lien entre vaccination RRO et autisme.
La perte de confiance dans les élites. « Ces épisodes s’expliquent surtout par le manque de confiance des citoyens envers les pouvoirs publics et notamment, leurs autorités de santé. De ce fait, les messages ont moins d’impact. Et ils sont moins bien suivis ».
S’appuyer sur les professionnels de la santé. Pour restaurer la confiance, il propose aux élites de davantage « s’appuyer sur le médecin généraliste, ainsi que les autres professionnels de la santé » . Souvenons-nous qu’en 2009, les généralistes avaient été les grands oubliés de la campagne de vaccination contre la grippe A/H1N1, qui s’est soldée par un échec cuisant. Pour Jocelyn Raude, il serait dommage de s’en passer. « Ce professionnel de santé reste une figure, avec laquelle les citoyens entretiennent une vraie relation de confiance » et de proximité. « Pour faciliter la vaccination, on pourrait également s’appuyer sur les pharmaciens qui sont facilement accessibles sur l’ensemble du territoire. C’est déjà le cas aux Etats-Unis où on peut se faire vacciner contre la grippe dans la plupart des officines. »
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Source : Interview de Jocelyn Raude, 9 avril 2014 – OMS, Aide-mémoire Poliomyélite n°114, mars 2014 - OMS/UNICEF, 25 mai 2005
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Ecrit par : David Picot - Edité par Marc Gombeaud