Soins carcéraux : l’approche communautaire testée à Nantes

27 février 2017

Depuis deux ans, Médecins du Monde (MdM) expérimente, à Nantes, une nouvelle approche de la santé en milieu carcéral. L’ONG y a mis en place des groupes de travail auprès des détenus. L’occasion pour eux de s’exprimer sur les situations éprouvées au quotidien. Et de faire le lien avec le personnel administratif et médical. Les précisions d’Irène Aboudaram, coordinatrice générale de MdM.

« Donner une place centrale aux personnes incarcérées », tel est le credo de Médecins du Monde (MdM), organisation non gouvernementale (ONG) impliquée depuis octobre 2014 à Nantes dans l’approche communautaire carcérale. Une expérimentation unique en France menée auprès des femmes en maison d’arrêt et des hommes en centre de détention.

« Aller vers » pour créer le lien

« Nous travaillons avec tous les détenus directement concernés par les obstacles rencontrés pour accéder aux soins », souligne Irène Aboudaram. A travers des ateliers hebdomadaires, les membres de MdM donnent le temps et l’espace disponibles aux personnes qui le souhaitent de s’exprimer sur un sujet bien précis : leur santé.

« Des problématiques émergent. Puis des ateliers donnent l’occasion au personnel sanitaire de se déplacer pour entendre les détenus », poursuit-elle. Toute cette démarche fonctionne grâce à la synergie de groupe. L’idée est de « faire en sorte que tous les volontaires travaillent ensemble sur une solution collective et pérenne ». Les problématiques soulevées sont ensuite « portées aux administrations pénitentiaires, aux équipes médicales. De ce travail de groupe émane une solution qui ne doit gêner aucune des parties ».

Cependant, attention aux amalgames. « Nous ne nous substituons ni au droit carcéral, ni aux services médicaux. Nous travaillons sur les obstacles liés à l’accès, pas sur les soins proprement dits. » Une forme de démocratie sanitaire « que le système carcéral ne permet pas suffisamment », mais qui contribue à donner à chacun un rôle dans cette microsociété pour bien préparer la sortie.

Sommeil, médicaments, psychologie…

Sujet transversal, la santé carcérale englobe les troubles du sommeil et l’équilibre de l’alimentation. Mais aussi d’autres problématiques comme :

  • L’observance des médicaments. Thème abordé par MdM autour de « la façon dont on peut responsabiliser les personnes sur la prise de leurs traitements », précise Irène Aboudaram ;
  • La relation avec le médecin à bâtir sur la confiance. « Déjà complexes à tisser en milieu extérieur, les échanges pendant les consultations sont encore plus difficiles à établir en prison. La motivation thérapeutique peut en effet être parasitée par des questions juridiques et l’influence du motif d’incarcération » ;
  • La fragilité psychologique, et notamment la question du suicide. « Régulièrement, un groupe de travail constitué de détenus vient travailler avec les équipes médicales et les psychologues, et parfois l’administration pénitentiaire ». Ce moment permet par exemple de « parler de l’impact du bien-être, de la gestion d’une situation après un passage à l’acte, ou encore des principes d’une vie en collectivité en prison ». Un exemple, des femmes ont mis au point un livret d’accueil plein de conseils pour aider à la gestion du stress à l’arrivée en maison d’arrêt ». Du concret et du pédagogique créés par les principales concernées en complément des documents officiels.

Un pas vers la réduction des risques

En facilitant l’échange autour de la réduction des risques médicaux et sanitaires, cette approche communautaire vise à faciliter la dynamique entre l’administration, les surveillants et les détenus. « On a tous à gagner à favoriser ce genre de démarche où l’autonomie est centrale, au lieu de trouver des solutions à la place des gens », témoigne Irène Aboudaram.

Cette expérimentation d’une durée de 3 ans fera prochainement l’objet d’une évaluation avant d’évaluer la faisabilité d’un déploiement en France. Un projet qui suscite d’ailleurs l’intérêt d’acteurs de poids comme l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP). A terme, il s’agit « d’être capable de mesurer l’impact d’un tel programme pour qu’ensuite le relai soit assuré, par Médecins du Monde ou d’autres structures. »

  • Source : Interview d’Irène Aboudaram, coordinatrice générale de Médecins du Monde (MdM), le 10 novembre 2016.

  • Ecrit par : Laura Bourgault - Edité par : Vincent Roche

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