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Pre Raynaud-Simon (cheffe du service de gériatrie de l’Hôpital Bichat-Claude-Bernard, Paris) : Faux ! En réalité, le plus grand nombre de personnes dénutries vit à domicile. On estime à environ 2 millions le nombre de personnes concernées en France, de l’enfant à la personne âgée. La prévalence de la dénutrition augmente avec l’âge, parallèlement au nombre de pathologies chroniques. Selon l’Assurance Maladie, au moins 47 000 enfants et 1 million de personnes de plus de 65 ans souffrent de dénutrition. A l’hôpital, un enfant hospitalisé sur dix et au moins 30 % des adultes et personnes âgées sont dénutris. L’enjeu principal est donc de réussir à identifier la dénutrition précocement, notamment en ville, où elle reste souvent sous-diagnostiquée. La reconnaître chez un proche repose sur quelques signes clés dont le plus fréquent est la perte d’appétit : des repas sautés, des portions plus petites, une diminution progressive de l’envie de manger. Parfois, la perte de poids est rapide, visible, mais elle peut aussi être progressive et discrète. Mais comme le critère le plus sensible reste toutefois la perte de poids, il est important de se peser ou de se faire peser régulièrement. Précisément, la dénutrition se définit par une perte de poids de plus de 5 % en un mois, plus de 10 % en six mois, ou plus de 10 % par rapport au début de la maladie. Le deuxième critère est la maigreur, identifiable grâce à l’indice de masse corporelle (IMC : le poids divisé par la taille au carré). Chez les adultes, un IMC inférieur à 18,5 indique une maigreur ; après 70 ans, le seuil est porté à 22 kg/m2. Le troisième critère concerne la masse et la fonction musculaires. Il s’agit de mesurer la force et la masse musculaires et, éventuellement, la fonction musculaire (la vitesse de marche est un bon indicateur).
Pre Raynaud-Simon : Vrai ! Le terme « dénutrition » correspond à une perte de poids et de masse musculaire liée à des problèmes de santé ou à une diminution de l’appétit. Mais c’est surtout une affaire de muscles : quand le corps est malade, il puise dans ses réserves, mais davantage dans les muscles que dans la graisse (le tissu adipeux), pour obtenir les protéines dont il a besoin. Cette mobilisation entraîne une sarcopénie, définie par une force et une masse musculaires basses. C’est pourquoi il est possible d’être dénutri tout en ayant un poids normal, un surpoids ou même en situation d’obésité ! Les muscles fournissent non seulement les protéines indispensables au fonctionnement du corps, mais peuvent aussi se transformer en glucose pour produire de l’énergie. C’est pour ces raisons que la perte musculaire est le premier mécanisme dans la dénutrition. Perdre du poids lorsqu’on est malade n’est pas normal et ne doit pas être banalisé. La dénutrition altère le pronostic de toutes les maladies ; elle augmente le risque de complications médicales et de décès.
Pre Raynaud-Simon : Faux ! En réalité, il est physiologique de consommer un peu moins d’énergie en vieillissant, mais cela ne doit pas entraîner de perte de poids. Cette diminution de l’appétit s’explique par des besoins légèrement inférieurs : on perd de la masse musculaire à partir de 50 ans, même en bonne santé, et les personnes âgées sont souvent un peu plus sédentaires que les plus jeunes. D’ailleurs, le plus souvent, en vieillissant, on observe une prise de poids (augmentation de la masse grasse), sans effet particulièrement délétère tant qu’elle reste modérée. Au contraire, la perte de poids, dès 3 kg ou 5 kg après 65 ans, représente un signal d’alarme, nécessitant une évaluation de la santé et des facteurs qui peuvent entraîner une diminution des apports alimentaires.
Pour conserver les muscles et prévenir la dénutrition, les besoins nutritionnels en protéines sont plus importants chez les seniors (1 à 1,2 g par kg de poids corporel et par jour) que chez les adultes jeunes (0,8 g). Il est important de conserver dans l’alimentation des protéines d’origine animale (poisson, viande, œufs), car ces protéines sont mieux assimilées et plus riches en acides aminés essentiels que les protéines d’origine végétale. De plus, leur densité en protéines est plus forte, ce qui permet de consommer suffisamment de protéines avec des volumes dans l’assiette plus adaptés à une personne âgée. Les aliments denses en protéines végétales, comme les légumineuses comme les lentilles, les pois chiches ou les haricots secs, restent intéressants sur le plan nutritionnel et gustatif et font partie d’une alimentation diversifiée.
Pre Raynaud-Simon : Vrai ! Il s’agit avant tout d’un manque de muscles. Manger suffisamment d’énergie ne suffit pas : il faut aussi consommer des protéines et pour entretenir les muscles, l’activité physique est essentielle. La dénutrition survient en cas de perte d’appétit et certaines maladies ont en plus un impact métabolique qui accélère la fonte musculaire. Par exemple, dans les maladies inflammatoires, le cancer, l’insuffisance rénale ou l’insuffisance respiratoire, les désordres métaboliques défavorisent les muscles. Il ne s’agit donc pas d’une simple question d’énergie.
D’autre part, dans la maladie d’Alzheimer par exemple, qui ne s’accompagne pas de désordre métabolique détectable, la perte de poids est précoce et s’aggrave tout au long de la maladie. Ainsi, la dénutrition résulte d’une combinaison de facteurs : la ou les maladie(s), avec la perte d’appétit et les éventuels désordres métaboliques qu’elle entraîne, mais aussi les facteurs sociaux comme l’isolement ou la précarité, la dépendance avec les difficultés à faire les courses, à préparer les repas et à manger soi-même. Quelle qu’en soit la cause, la dénutrition entraîne le plus souvent une fatigue et une réduction de la mobilité, une baisse de l’immunité et des capacités de cicatrisation et une augmentation du risque d’hospitalisation.
Pre Raynaud-Simon : Vrai. Une dentition complète compte 32 dents, mais c’est surtout en dessous de 20 dents que les capacités d’alimentation diminuent. Malheureusement, la santé bucco-dentaire est souvent négligée : en 2017, seules 43 % des personnes de 55 ans avaient consulté un chirurgien-dentiste, et à 90 ans, elles n’étaient plus que 25 %.
Avec l’âge, la bouche change comme le reste du corps. Les muscles de la mastication perdent de la force : entre 30 et 80 ans, leur masse diminue d’environ 30 %. Cette fonte musculaire touche les lèvres, la langue, le pharynx et même la posture. Mastiquer entretient cette musculature. Lorsqu’on perd des dents (surtout les molaires), on se tourne vers des aliments plus mous, ce qui réduit la stimulation musculaire et augmente le risque de caries.
Les muqueuses buccales s’amincissent, deviennent moins élastiques et plus fragiles. Elles cicatrisent plus lentement. Le goût s’altère aussi : les papilles gustatives s’atrophient et deviennent moins sensibles aux saveurs, ce qui favorise une attirance pour les aliments sucrés.
Et même les dents vieillissent. L’émail s’amincit, la dentine s’épaissit et les nerfs deviennent moins réactifs. Enfin, la salive, précieuse alliée de la bouche, diminue avec l’âge. Or elle protège les dents, facilite la mastication, la déglutition et la digestion, tout en contribuant à l’équilibre de la flore buccale.
Le livre Le Goût de l’âge est téléchargeable gratuitement : ici.

Source : Interview de la Pre Raynaud-Simon (cheffe du service de gériatrie de l’Hôpital Bichat-Claude-Bernard, Paris), novembre 2025.

Ecrit par : Hélène Joubert ; Édité par Emmanuel Ducreuzet