Sous emprise : comment le reconnaître ?
07 août 2023
L’emprise s’inscrit dans une relation toxique. Progressivement, une personne sous emprise perd son libre-arbitre, son esprit critique, alors que le manipulateur alimente, dans la domination, sa personnalité narcissique. Explications.
L’emprise est une domination intellectuelle, affective, psychologique qu’exerce une personne sur une autre. Elle peut se retrouver dans toutes les sphères de la vie, professionnelle, amoureuse, amicale et/ou familiale. La notion d’emprise a été introduite dans le droit français par la loi du 30 juillet 2020, visant à protéger les victimes de violences conjugales.
Qui sont les manipulateurs ? « On retrouve des profils avec des troubles de la personnalité narcissique (haute estime de soi, défaut d’empathie, incapacité à se remettre en question). A cela s’ajoute des leviers de perversion, c’est-à-dire une satisfaction à assujettir et à brimer l’autre », détaille Johanna Rozenblum, psychologue à Paris, autrice de « Pervers narcissique : comprendre l’emprise pour s’en libérer » (Alpen, 2022).
Ainsi, la personne qui exerce une emprise alimente sa personnalité narcissique en dominant, en écrasant l’existence de l’autre. « Une personne peut être considérée comme sous l’emprise d’un manipulateur lorsque son esprit critique et son libre-arbitre ne lui permettent plus de voir les mécanismes d’assujettissement », poursuit la psychologue.
Un piège qui se referme progressivement
L’emprise s’installe souvent insidieusement, sans que la victime ne puisse l’anticiper. Dans une relation amoureuse, les victimes évoquent souvent une personne charmante, attentionnée. Durant cette phase idyllique, le piège se referme progressivement. « On observe d’abord une phase dite de lune de miel ou de ‘love bombing’. Le manipulateur prend alors la posture de la personne providentielle, celle qui nous comprend et que l’on attendait depuis toujours. C’est un leurre qui sert à aveugler la victime. »
Celle-ci est petit à petit isolée, elle perd le contact avec les autres, perd de son autonomie et ne prend plus de décision seule. Selon notre interlocutrice, « la victime est isolée progressivement pour ne s’en remettre qu’aux avis de la personnalité qui exerce la domination. Le libre-arbitre et l’esprit critique cèdent pour ne laisser place qu’à une pensée unique… celle du manipulateur ». Lequel a alors le champ libre pour exercer suggestion, harcèlement, maltraitance et humiliation.
Partir, si c’est possible
Dans la grande majorité des cas, une personne sous emprise ne prend pas conscience de la situation. Pas dans l’immédiat. Bien souvent, elle justifiera même ou minimisera les violences subies. « Le déni est puissant et le manipulateur a su, avec le temps, faire suffisamment perdre confiance à sa victime pour qu’elle se croit responsable. La manipulation est telle que certaines victimes s’estiment coupables de la situation chaotique », explique la spécialiste.
Et si la victime réalise que la relation est délétère, elle espère souvent que la situation finisse par s’arranger, que la personne manipulatrice change de comportement. Mais alors que l’incapacité à se remettre en question est une des principales caractéristiques de ce type de personnalité, un nouveau départ est-il vraiment envisageable ? « Les victimes cherchent à trouver des signaux qui montrent que les jours à venir seront meilleurs, en réalité il n’y a que peu d’espoir ».
Comment alors échapper à une relation toxique ? Il faut partir, si c’est possible. « Le temps est nécessaire. Réaliser qu’une histoire que l’on pensait saine et sincère n’est en fait que manipulation et assujettissement est très traumatisant. D’ailleurs, les dégâts psychiques sont parfois si profonds, qu’on ne parvient pas à trouver l’énergie pour affronter cette réalité », conclut Johanna Rozenblum.
-
Source : Interview de Johanna Rozenblum, psychologue clinicienne
-
Ecrit par : Dorothée Duchemin – Edité par Emmanuel Ducreuzet