Subutex® : trafic et mésusage au cœur de la polémique
07 juillet 2015
La buprénorphine haut dosage s’administre par voie orale, mais certains usagers en détournent l’usage en se l’injectant. ©Phovoir
C’est pour attirer l’attention sur le mésusage du Subutex® que l’Académie nationale de médecine a publié des recommandations ce 2 juillet. Son ton n’a clairement pas plu à la Fédération Addiction, qui lui a répondu par communiqué de presse. Un désaccord persiste malgré un objectif commun : conserver un système français performant en matière de soutien aux patients dépendants aux opiacés.
C’est la publication d’un communiqué de l’Académie nationale de médecine qui a mis le feu aux poudres. Pour la Docte Assemblée, la facilité d’accès au Subutex® (un traitement de substitution à la dépendance à l’héroïne) est à l’origine du mésusage et du trafic. D’où sa recommandation de le réserver à une seconde intention.
La Fédération Addiction estime au contraire que c’est cette prescription par tous les médecins, en première intention dans certains cas, qui a permis la baisse des overdoses et des contaminations au VIH et au VHC. En effet, selon un document de l’INSERM de 2011, l’introduction des médicaments de substitution aux opiacés a « divisé par plus de cinq les décès par surdose entre 1994 et 2002 ».
Première ou seconde intention, telle est la question
Depuis les années 1990, les médicaments de substitution aux opiacés sont prescrits aux patients dépendants à l’héroïne. La méthadone est disponible sur ordonnance dans certains centres spécialisés depuis 1995. De son côté, la buprénorphine haut dosage (Subutex®) peut être prescrite par tous les médecins depuis 1996.
Le Pr Jean-Pierre Goullé, un des signataires du communiqué de l’Académie estime que cette molécule « ne doit être prescrite qu’en seconde intention, après la méthadone. C’est la règle de prescription définie par les professeurs en pharmacologie. »
Pour lui, « le modèle français est le meilleur au monde pour la prise en charge des patients dépendants aux opiacés, mais le mésusage du Subutex® est un vrai sujet d’inquiétude. Car il fait déraper certains médecins généralistes. » Ainsi, « environ une dizaine d’entre eux ont été sanctionnés par le Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM) chaque année depuis 10 ans pour mauvaise prescription et surdosage de cette molécule. » Ce que confirme le CNOM.
Une utilisation détournée
De son côté, Xavier Aknine, référent du pôle de médecine générale a la Fédération Addiction estime que « l’Académie exagère largement le problème ». Tout en admettant l’existence du mésusage. Ainsi, certains utilisateurs dissolvent le médicament dans l’eau pour se l’injecter, alors qu’il se prend par voie orale. D’autres se le procurent pour le revendre.
La Fédération Addiction assure dans son communiqué que « dès le début, les professionnels se sont attachés à réduire le mésusage auquel, comme d’autres traitements, il donne lieu ». Mais, « on ne pourra jamais le faire totalement disparaître », estime Xavier Aknine.
La méthadone prescrite par les généralistes ?
« Les addictions ne sont pas des vices mais des pathologies », martèle la Fédération Addiction. Laquelle reproche avec virulence à l’Académie de médecine, de « qualifier ces usagers d’« avides » de leur molécule et d’expliquer leur dépendance par une sorte de perversité maléfique, d’où des propositions qui ressemblent à des injonctions moralisatrices et punitives ».
Pour le Pr Goullé, il y a eu un malentendu. « Nous n’avions pour seule intention que d’attirer l’attention sur le problème du mésusage et du trafic lié au Subutex® ». D’ailleurs, il assure que les deux organismes sont « d’accord sur la forme mais divergent sur les modalités ». Toutefois, les recommandations de l’Académie divergent bien de celles de la Fédération Addiction. Seule la prescription de la méthadone en première intention par des généralistes habilités et conventionnés avec un CSAPA ou un établissement de santé semble faire l’unanimité.
-
Source : interview du Dr Xavier Aknine, référent du pôle de médecine générale a la Federation addiction, 7 juillet 2015 – interview du Pr Jean-Pierre Goullé, Académie de médecine, 7 juillet 2015
-
Ecrit par : Dominique Salomon - Edité par : Emmanuel Ducreuzet