VIH-SIDA : chronique d’un mal (jusqu’ici) incurable
26 mai 2014
Avec près d’un adulte sur 20 vivant avec le VIH, l’Afrique subsaharienne est la région la plus touchée. ©Zoe Eisenstein/PlusNews
Le début des années 1980 a vu surgir un mal nouveau à l’échelle planétaire. Un mal qui ne fait pas de distinction entre ses victimes. En 30 ans, le VIH-SIDA a fait plus de 36 millions de morts. Si aujourd’hui il est possible de contrôler la maladie, l’éventualité d’un vaccin est difficile à entrevoir. Le Pr Marc Girard, membre de l’Académie nationale de médecine, ancien directeur général de la Fondation Mérieux et du Centre Européen de Recherche en Virologie, nous compte cette histoire dont la fin reste à écrire.
C’est en 1981 qu’aux Etats-Unis, les Centers for Disease Control (CDC) ont su faire la relation entre différents cas de pneumonie très rares diagnostiqués à San Francisco, à New York, à Miami… Une forme rare qui ne semblait ne toucher que les gays. « Dès lors une terrible maladie entamait sa marche », commente Marc Girard. « Et avec elle la théorie des 4 H pour qualifier les patients plus susceptibles d’être touchés : Homosexuels, Héroïnomanes, Haïti, puis Hémophiles. »
Mais remontons le fil de l’affaire. Comment est apparu le VIH ? « Ce qui semble le plus vraisemblable – mais gardons-nous de parler de certitude- c’est que la maladie a émergé au début du siècle dernier en Afrique équatoriale (Cameroun, Congo). » Issue du chimpanzé, elle serait passée à l’homme, sans doute par la consommation de viande de brousse mal cuite, ou de contact avec du sang infecté.
« Ce qui est le plus probable c’est qu’avant les années 1980, la maladie existait bel et bien, mais on ne connaissait pas les malades » continue le Pr Girard. « Il s’agissait de populations reculées, des pigmés… A partir des années 1960, avec les mouvements de population vers les villes (notamment vers Kinshasa) s’est développée la prostitution à outrance, tout comme la consommation de drogue… »
Des Haïtiens, venus travailler en Afrique, sont repartis dans leur pays. Haïti est ensuite devenu une plaque tournante du tourisme sexuel. Des Américains y sont allés, se sont contaminés et sont repartis aux Etats-Unis. « Des USA, cela s’est propagé à la communauté homosexuelle. Certains parmi eux, drogués, donnaient leur sang pour récupérer un peu d’argent. » Les facteurs de coagulation produits à partir du sang pour soigner les hémophiles, ont ainsi été contaminés et ont diffusé le virus dans le monde entier
C’est ainsi que furent décris les premiers cas de SIDA aux Etats-Unis. Bien entendu, on ne parlait alors pas encore de SIDA (syndrome d’immunodéficience acquise), mais plutôt de « gay syndrome ».
Une découverte française
En 1983, c’est au sein de l’Institut Pasteur que l’équipe du Pr Luc Montagnier, en collaboration avec les équipes médicales de l’APHP, découvre le Virus de l’immunodéficience humaine (VIH), responsable du Syndrome de l’immunodéficience acquise (SIDA). Montagnier explique lui-même qu’il s’agit là « d’un virus totalement différent de ceux déjà connus chez l’homme. » Ses résultats montrent que la contagion peut s’opérer par voie sanguine. Pour lui, des moyens de diagnostic doivent être développés au plus vite. « Mais à l’époque on se voilait la face », déplore le Pr Girard. On entendait des discours du type « En France, le sang est propre et les donneurs sont des gens très bien. Ils ne peuvent contaminer personne ». Encore une fois, les seuls touchés ne pouvaient être que ceux appartenant à l’une des catégories des 4H. C’est ainsi qu’éclate le scandale des sangs contaminés.
Mais c’est aussi à ce moment que l’on se rend compte de l’incroyable variabilité du virus. Il mute en permanence. Ce qui explique – encore aujourd’hui – les difficultés à lutter et à trouver un vaccin.
Comment évolue la maladie ?
« Une fois infecté, le patient développe durant quelques semaines une phase aiguë. Le virus flambe. La charge virale explose. Cela suscite une réponse immunitaire. Les lymphocytes T (CD8) vont neutraliser les cellules infectées. La charge s’effondre alors.» nous explique Marc Girard. Bien entendu cela varie d’un individu à l’autre. « Chez certains la charge virale s’effondre très peu. Ils vont alors développer un SIDA en moins de cinq ans. Chez d’autres, elle devient indétectable : leur système immunitaire maintient le virus sous contrôle. Ils vont pouvoir vivre 20 ans ou davantage sans aucun symptôme de la maladie. Et puis, il y a tous les paliers intermédiaires. Pendant toute la phase chronique, le virus continue à miner le système immunitaire. Lorsque ce dernier s’effondre, la charge virale remonte, les T4 dégringolent. Et le SIDA apparaît. Et avec lui, toutes les maladies opportunistes (cancers, tuberculose…). »
Des avancées thérapeutiques mais un vaccin qui se fait attendre
L’année 1987 marque un premier tournant dans le traitement du SIDA. C’est à cette date qu’est commercialisé en France l’AZT, un antirétroviral qui inhibe la réplication du VIH. Malheureusement, il est accompagné d’un cortège d’effets secondaires (nausées, maux de tête…). Sans compter qu’à l’époque, plusieurs articles de presse mettent en doute son efficacité.
Les sombres années 1990 débutent alors. La population prend conscience que la maladie peut toucher n’importe qui, de l’anonyme à la personne publique. Nous ne sommes plus dans le « syndrome gay »…
Mais cette période marque aussi les premiers essais cliniques vers les trithérapies. Nous sommes en 1996 et l’introduction de ces nouveaux traitements antirétroviraux va bouleverser le pronostic de l’infection à VIH. Ils consistent à associer par exemple un ou deux inhibiteurs de la transcriptase inverse, à un ou deux inhibiteurs de la protéase (ou, aujourd’hui, de l’intégrase). En 2003, un travail révèle que dans les pays développés, le passage de la séropositivité au SIDA déclaré, ainsi que la mortalité ont diminué de 8% tous les six mois depuis 1998. Une page se tourne. Grâce à la trithérapie, une femme séropositive peut mettre un enfant au monde sans lui transmettre le virus.
Pour autant, aujourd’hui, aucun traitement ne permet d’éliminer complètement le VIH de l’organisme. Même si certains permettent aux séropositifs de bloquer la multiplication du VIH et de conserver un système immunitaire opérationnel, ce qui leur fait perdre presque toute contagiosité pour leurs partenaires.
Quid d’un vaccin ?
Malheureusement, des années de recherche sont restées infructueuses dans la mise au point d’un vaccin. « Depuis 1985, et même si certains travaux font office de lueur d’espoir, nous sommes toujours face à un mur » concède le Pr Girard. « Sans vaccin, nous aurons les plus grandes difficultés à juguler l’épidémie. La maladie semble sous contrôle dans les pays industrialisés. ‘Semble’ car le VIH est parfois considéré comme banal au point que nombre de personnes ignorent toujours leur séropositivité. Sans compter les pays pauvres où le SIDA reste une fatalité, comme en Afrique sub-saharienne ! »
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Source : Interview du Pr Marc Girard, février 2014
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Ecrit par : Vincent Roche – Edité par : Emmanuel Ducreuzet