Vivre après la mort brutale d’un enfant : l’impossible deuil ?
18 février 2022
L’actualité judiciaire - le procès de Nordahl Lelandais et celui des attentats du 13 novembre – renvoie à la douloureuse question de la perte brutale d’un proche. Comment continuer à vivre après la mort d’un enfant ? Quelles étapes devront franchir ceux qui restent ? Les réponses de Marie-Anne Gury, Psychologue Experte auprès de la Cour d’appel de Lyon.
Destination Santé : Peut-on se remettre de la mort d’un enfant ?
Marie-Anne Gury : Affronter la mort de son enfant n’est pas dans l’ordre des choses. On ne s’en remet jamais. Cela fera toujours mal. On est amputé d’une partie de soi. La souffrance de l’absence sera toujours présente, même si elle se transforme au fil du temps.
La brutalité et la soudaineté d’un meurtre ou d’un attentat altèrent-elles la capacité de résilience ?
Marie-Anne Gury : La résilience, c’est la capacité à surmonter le deuil. Ici il n’est pas question de ça. Mais plutôt d’un « travail » pour parvenir au deuil. « Travail » dans le sens étymologique du terme, c’est-à-dire « souffrance ». Car cette soudaineté complexifie le processus de deuil. On n’a pas le temps de s’y préparer comme dans le cas d’une maladie par exemple.
Il y a une rupture dans la temporalité. Le temps s’arrête alors que pour les autres, il continue. Ce qui est très violent. Cela peut apparaître comme une négation de la mort de l’enfant. On rumine, on tourne en rond. Sans oublier que dans les cas présents, d’autres éléments viennent ralentir le processus : un long procès (ce n’est qu’après le verdict que l’on peut commencer à se réparer), le fait de s’imaginer les pires choses, ce qu’a pu endurer la victime, mais aussi la surmédiatisation qui enlève une forme d’intimité…
Quelles sont les étapes du deuil ?
Marie-Anne Gury : Ces étapes ont été décrites par la psychiatre Elisabeth Kübler-Ross. Mais elles commencent à être décriées. Le terme « étapes » sous-entend qu’elles se succèdent, indépendamment les unes des autres. Alors que souvent des phases surviennent en même temps. Le travail de deuil commence souvent par une incrédulité, un déni. On est dans l’illusion que l’enfant est encore là. On l’imagine, on lui parle… Puis la prise de conscience s’accompagne d’une phase dépressive, d’une colère liée à l’injustice. Bien plus tard, viendra l’adaptation (certains parlerons d’acceptation) au manque.
Quel est le rôle de l’entourage dans le processus de deuil ?
Marie-Anne Gury : C’est ce qui va tirer du côté de la vie. Beaucoup de parents qui ont perdu un enfant disent « ce qui me fait tenir, c’est mon autre fils » ou « mes petits-enfants ». Mais l’entourage peut aussi être inconsciemment violent dans ces mots. Les « ça va passer » n’aident pas. En fait, il n’y a pas grand-chose à dire. Il ne faut pas chercher les bons mots, tout simplement car ils n’existent pas. Le soutien passe plutôt par des phrases qui montrent que l’on est présent comme « tu veux que je te fasse des courses ? » ou « Et si on allait manger quelque chose »…
Comment les parents peuvent surmonter cette épreuve ?
Marie-Anne Gury : Encore une fois, le deuil est une rupture dans la temporalité. Et chacun sa temporalité. Cette différence de timing peut être néfaste pour le couple. Une consultation psychologique peut aider, par exemple en faisant le point sur les reproches inconscients que l’on peut faire à l’autre (« si tu l’avais surveillé(e), il ou elle serait encore là… »). Un travail thérapeutique (par exemple en EMDR) peut aussi aider à remettre en avant les bons moments. Que le traumatisme lié au décès ne fasse pas écran aux bons souvenirs.
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Source : Interview de Marie-Anne Gury, Psychologue, Experte auprès de la Cour d’appel de Lyon
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Ecrit par : Vincent Roche – Edité par : Emmanuel Ducreuzet