Alcool : la dépendance, c’est perdre le contrôle
14 juin 2016
En France la dépendance à l’alcool serait responsable de 50 000 décès chaque année. Mais comment définir ce trouble de l’addiction ? Quels signes d’alerte doivent pousser l’entourage à s’inquiéter ? Comment parvenir à réduire les risques pour la santé ? Eléments de réponse avec le Dr Philipe Castera, médecin généraliste à l’Université de Bordeaux et coordinateur médical du réseau addiction Aquitaine.
Dépendance à l’alcool : comment la reconnaître ? La dépendance à l’alcool est un processus qui relève à la fois de facteurs biologiques, psychologiques et environnementaux. Biologiquement, la réaction du cerveau et sa vulnérabilité en présence d’une drogue sont génétiquement déterminées. Les facteurs psychologiques sont, pour leur part associés au vécu personnel d’un individu : deuil, stress, traumatismes psychologiques… Enfin, les facteurs environnementaux sont liés au rapport qu’un sujet entretient avec l’alcool, à travers son lieu de vie, par exemple.
Des repères fiables existent pour reconnaître une dépendance alcoolique. Un verre standard correspond à 10 g d’alcool. « Pour un homme, la consommation devient problématique lorsqu’elle dépasse 21 verres standards par semaine, ou 4 par occasion de boire. Chez la femme, le seuil se situe à 14 verres par semaine ou 3 par occasion de boire », explique le Dr Philippe Castera.
Le craving ou la pulsion irrépressible… En réalité, la communauté médicale a établi 11 critères pour définir la dépendance à l’alcool. « Mais il en existe un essentiel », précise le Dr Castera. « C’est ce que les spécialistes appellent ‘le craving’, autrement dit la pulsion à consommer de l’alcool. Par exemple, une personne a décidé de ne pas boire au cours d’une soirée. Et dès qu’on lui propose de l’alcool, elle va en consommer. Cette pulsion est plus forte que la volonté, c’est le signe quasiment central de la dépendance à l’alcool ».
Ce comportement est souvent provoqué par des stimuli. « Je connais un patient dont l’envie de boire se déclarait dès qu’il passait devant une cave à vins. Il perdait totalement le contrôle de sa consommation. Il buvait plus qu’il n’en avait envie. Il perdait sa liberté ».
Quel rôle pour l’entourage ? Selon le Dr Philippe Castera, « généralement la personne a conscience de sa dépendance, même quand elle se trouve dans le déni. Dans son for intérieur, elle sent bien son degré de dépendance à l’alcool. Mais c’est bien l’entourage le plus exposé aux conséquences qui doit alerter. Conjoint, collègues de travail, amis sont souvent confrontés à des comportements spécifiques, comme une hypersensibilité, des accès de colère, une non-maîtrise des émotions ». Cependant pour le Dr Castera, il n’est pas toujours évident pour l’entourage de faire des remarques et d’inciter le proche à consulter. « Nous constatons qu’il existe une tolérance élevée de l’entourage ».
Sortir du dogme de l’abstinence ? « Pour de nombreux patients, la perspective de ne plus jamais boire une goutte d’alcool est inimaginable. L’objectif est bien trop difficile à atteindre ». L’alternative consistant à motiver le patient pour réduire sa consommation peut en effet s’avérer efficace. « On peut très bien viser un objectif de consommation contrôlée, avec l’appui de traitements médicamenteux », explique le Dr Castera.
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Source : Interview du Dr Philippe Castera, 25 mai 2016
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Ecrit par : Emmanuel Ducreuzet – Edité par : Laura Bourgault