Calais et Grande-Synthe : l’obstétrique s’implante coûte que coûte

24 octobre 2016

Le démantèlement du camp de Calais a commencé ce lundi 24 octobre. Depuis le début de la matinée, les migrants montent dans les bus affrétés pour rejoindre différentes régions de France. En réponse à cette décision politique, plusieurs associations et ONG maintiennent leur activité : assurer un soutien médico-social. Reportage auprès de Gynécologie sans Frontières (GSF), impliquée depuis quasiment un an dans le suivi obstétrical des femmes migrantes.

Ce lundi 24 octobre, 60 bus vont prendre la route au départ de la Jungle de Calais pour acheminer les migrants vers toutes les régions de France.  Le démantèlement devrait aboutir au transfert de 6 400 personnes. Si l’évacuation est bel et bien lancée, l’approche médico-sociale sur place ne s’éloigne pas du terrain. « Nous assurons seulement les consultations à la PASS, la permanence d’accès aux soins implantée dans la jungle », souligne Richard Matis, gynécologue-obstétricien et vice-président de GSF. « Pour protéger au mieux les bénévoles, les maraudes sur les camps sont suspendues. »

L’évacuation est d’autant plus complexe que la population de Calais s’avère très dense. « Exceptés des bus pour les Centres d’Accueil et d’Orientation (CAO), il n’y a strictement rien d’organisé pour les personnes. Le soutien psychologique et médical sur place va être perturbé par le démantèlement. Ceux qui ne souhaitent pas partir dans les CAO vont se retrouver isolés et la situation sanitaire sera pire », souligne le Dr Matis. « Nous n’avons donc pas pour objectif d’interrompre la mission, bien au contraire. Notre activité se maintient aujourd’hui avec plus de difficultés pour aller à la rencontre des femmes autour de Calais ».

Un dispositif renforcé

Depuis l’annonce du démantèlement, les effectifs de GSF ont d’ailleurs doublé, un centre de consultation mobile à bord d’un camion complète la prise en charge auprès des personnes exposées à l’errance. Et « nous allons aménager un refuge pour les femmes victimes de violences psychologiques et/ou physiques, et celles en grande vulnérabilité, complètement isolées avec un nouveau-né par exemple. L’idée est de créer un espace de cocooning » pour retrouver un peu de calme et d’apaisement, « avant de passer le relais aux autres associations d’aides aux victimes. Nos bénévoles sont tous des professionnels : sages-femmes pour les 3/4 et gynécologues pour 1/4 des équipes », ajoute le Dr Richard Matis. Pour gérer l’après-démantèlement, « nous relançons notre appel à candidature pour recruter des bénévoles jusqu’au moins fin juin 2017. »

Priorité au soutien médico-social

Mais jusqu’ici comment se déroulait le suivi obstétrical des femmes ? Petit retour en arrière. Début du mois d’octobre, soleil d’automne matinal dans la « Jungle » de Calais. Helena et Nathan, binôme de sage-femme et maïeuticien engagé auprès de GSF, commencent leur journée. Il est 10h30 et comme chaque jour depuis novembre 2015 les femmes viennent frapper à leur porte. Jusqu’à 17h en moyenne, les consultations se déroulent dans un local situé à la PASS. Ensemble de préfabriqués disposés en carrés, ce centre de santé implanté à 20 minutes à pied de l’entrée du camp donne accès à plusieurs services médicaux et paramédicaux : la pharmacie, la médecine générale, la psychologie/psychiatrie et donc… la gynécologie.

« Certaines femmes habitent dans la jungle, d’autres dans le centre d’hébergement de l’espace Jules Ferry. Quelques-unes viennent d’elles-mêmes ou honorent un rendez-vous fixé plusieurs jours à l’avance. Fréquemment, nous partons aussi en maraude ou à la recherche des ‘perdues de vue’», explique Nathan. Sur le camp, les binômes qui se renouvellent toutes les deux semaines, n’effectuent pas d’actes médicaux à proprement parler. « Les échographies, les prises de sang et les vaccinations sont effectués au laboratoire, en PMI* ou à l’hôpital de Calais. Les accouchements nécessitent aussi le transfert de la femme dans les maternités ou au CHU ».

L’ONG se place en première ligne de la prévention et du dépistage d’éventuelles complications. « Le temps passé avec les femmes se concentre sur l’écoute et l’accompagnement ». Le tout, épaulé par la présence d’interprètes pour traduire les propos tenus par des femmes venues de Syrie, d’Afghanistan ou du Kurdistan.

« Les patientes que nous voyons ont en commun le lien avec la maternité. Mais chacune d’entre elles vient pour un motif bien particulier », complète Héléna. « Certaines viennent pour le suivi de leur grossesse : effectuer l’échographie de routine et trouver une solution pour calmer les nausées et les céphalées ». Mais « les prescriptions de contraceptions d’urgence, les questions en lien avec un retard ou une absence de règles, les demandes d’avortement et le besoin de parler font aussi partie du quotidien ». Certaines femmes ont en effet été soumises à une pression masculine, violentées voire violées pendant leur parcours migratoire. Des grossesses non désirées surviennent donc. Dans ce cas, lorsque l’aménorrhée est inférieure à 7 semaines, l’IVG peut se faire par voie médicamenteuse en dehors de l’hôpital. « Le traitement est alors administré au camp. Et nous mettons en place un suivi sur plusieurs semaines pour nous assurer de l’absence de grossesse et du bon état de santé de la femme. »

VIDEO Grande-Synthe : le témoignage de Chloé Luciani, sage-femme auprès de GSF

 

De Calais à Grande-Synthe

A 40 kilomètres de Calais, direction le camp de la Linière situé aux abords périphériques de Grande-Synthe. Là où le maire de la ville, Damien Carême, et l’ONG Médecins sans Frontières (MSF) ont installé début mars 2016 un camp aux normes du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (UNHCR). Sans attendre le feu vert de l’Etat. Fil rouge, penser le camp comme une ville. Et donc offrir à la population des conditions de vie dignes. Résultat, à Grande-Synthe il règne une certaine impression d’ordre voire de calme malgré les regards chargés d’histoires croisés début octobre dans les allées traversant les abris. Dans ce camp qui accueille plus de femmes et d’enfants que celui de Calais, « les gens ont un accès permanent aux douches et aux toilettes », expliquait Chloé début octobre, sage-femme engagée à Grande-Synthe auprès de GSF avec Claude, son binôme. « Ici le camp est plus petit, nous rencontrons peu de difficultés à trouver les patientes. Le lien de proximité et le bouche à oreille se font plus facilement. »

Mais la situation évolue rapidement et pas forcément dans le bon sens. Comme l’indique Médecins du Monde, « « les conditions ne font que se dégrader. Depuis une semaine, nous sommes témoins d’un refus d’accueillir toute personne, y compris les femmes et les enfants, qui recherchent un abri à Grande-Synthe (…) sans qu’il ne leur soit proposé aucune autre solution d’hébergement ». Concernant le démantèlement du camp de Grande-Synthe, la sous-préfecture de Dunkerque prévoit de réduire « les capacités d’accueil à 300 personnes d’ici à la fin de l’année, et probablement de le fermer à court terme », détaille MSF. « L’arrêt des nouvelles admissions [concerne] aussi bien les couples, les familles que les femmes enceintes, les personnes âgées et les mineurs isolés ».

*Protection maternelle infantile

  • Source : Reportage sur les camps de Calais et Grande-Synthe, du 5 au 7 octobre 2016. Interview du Dr Richard Matis, gynécologue-obstétricien et vice-président de Gynécologie sans Frontières, les 13 avril et 18 octobre 2016. Médecins du monde, site consulté le 24 octobre 2016

  • Ecrit par : Laura Bourgault- - Edité par : Dominique Salomon

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